Le rachat partiel ou total de Groupe ADP, ex-Aéroports de Paris, s’annonce sous les meilleurs auspices pour l’État français. Les consortiums qui sont sur les rangs pour concourir à l’appel d’offres ne semblent pas s’inquiéter des quelque 10 milliards d’euros qui seraient à débourser. D’où vient leur appétit ?
Une privatisation hors-norme
« Nous nous donnerons dans la loi Pacte la possibilité de céder les participations que l’Etat détient dans trois entreprises : le groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), la Française des jeux et Engie », avait annoncé le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire (1). Il fallait, en effet, faire sauter le verrou que constituait le seuil de 50 % de participation de l’État pour ouvrir la voie à des cessions d’actifs de l’État, notamment dans Groupe ADP, l’opérateur aéroportuaire dont l’État possède encore 50,6 % du capital (2).
Les candidats au rachat de Groupe ADP font partie du gotha de la gestion aéroportuaire, de la finance et de la construction. Trois consortiums au moins sur la ligne de départ, constitués d’investisseurs spécialisés dans les infrastructures, de fonds de pension, d’assureurs européens et de fonds du Moyen-Orient. Le fonds américain Global Infrastructure Partners (GIP), spécialiste des infrastructures aéroportuaires qui a déjà investi avec succès dans des aéroports, notamment le Gatwick Airport au Royaume-Uni ou encore l’aéroport d’Édimbourg en Écosse ; le fonds australien IFM Investors dont les investissements se sont élargis à l’Europe et aux États-Unis ; le groupe français Vinci, déjà détenteur de 8 % des parts, et déjà très présent dans le développement aéroportuaire (3). Des pointures.
Depuis quelques années, le succès boursier du titre ADP est tel que la somme à débourser serait de l’ordre de 10 milliards d’euros, le cours de Bourse ayant été multiplié par 3,3 depuis l’arrivée d’Augustin Romanet à la tête de l’entreprise en novembre 2012. Dans le même temps, autre signe de performance que scrutent les compétiteurs, les dividendes distribués chaque année n’ont cessé d’augmenter : pour 2018, le montant estimé s’établit à 400 millions d’euros, dont 200 pour l’Etat (4).
Des activités prometteuses
Les futurs acquéreurs semblent avoir de bonnes raisons de convoiter Groupe ADP, un des leaders mondiaux sur un marché porteur (5). La croissance du trafic mondial devrait en effet se poursuivre (hausse prévue de 7 % en 2018). Le trafic à Paris est également en augmentation (101,5 millions de passagers en 2017), le 12 août 2018 ayant été une journée historique avec 248 466 passagers accueillis dans les aéroports parisiens gérés par Groupe ADP (Paris-Charles-de Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget).
Par le nombre de passagers, Groupe ADP est le deuxième groupe aéroportuaire européen après British Airports, mais le premier européen pour le fret et le courrier.
Son modèle économique est rôdé, la France étant la première destination touristique mondiale, et le hub aérien d’ADP étant le plus puissant d’Europe, avec des commerces qui contribuent fortement aux bénéfices. Pour les aéroports de Paris, les activités aéronautiques représentent 59 % des revenus, commerces et services 31 %, l’immobilier 9 % (ADP étant l’un des plus grands propriétaires fonciers d’Ile-de-France).
Pour les filiales et participations dans le développement aéroportuaire à l’étranger (aéroport turc TAV, aéroports de Santiago du Chili, de Madagascar, du Viet-nam) les revenus sont équivalents. Fort de partenariats importants avec Air France-KLM et l’alliance Skyteam, Star Alliance, Fedex, Schiphol Group (Aéroport d’Amsterdam) ainsi que La Poste pour le fret, Groupe ADP montre une activité plus que durable. Et les bons chiffres sont au rendez-vous : un résultat opérationnel d’un milliard d’euros, un bénéfice de 571 millions d’euros et un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros en 2017.
Rentabilité à long terme
Les perspectives de rentabilité, quant à elles, sont jugées importantes. Au-delà de la santé de l’entreprise, le désengagement de l’État pourrait en outre aider à assainir le fonctionnement de l’entreprise, car la gestion par l’État semble avoir atteint ses limites (6). La logique de rentabilité à long terme qui est l’apanage des entreprises entièrement privées améliorerait la qualité de service pour les compagnies aériennes et pour les voyageurs. Yves Crozet, spécialiste du transport et de l’aéronautique, appelle de ses vœux une véritable instance de régulation qui aiderait l’État à assumer son nouveau rôle, une fois ses parts cédés : « En toute logique, la privatisation devrait conduire l’État et la commission consultative aéroportuaire (COCOA), qui l’assiste dans cette mission à être plus exigeants avec ADP, afin que les gains de productivité ne profitent pas qu’aux actionnaires ou au personnel. Dans la mesure où ADP ne sera plus une “vache à lait” pour le budget de l’État, ce dernier pourra sans doute mieux exercer son rôle de régulateur » (7).
En attendant, l’État français se lèche les babines et s’apprête à faire vivre, grâce aux privatisations annoncées de Groupe ADP, Engie et Française des jeux, le fameux Fonds pour l’innovation promis par le président Macron, qui sera alors doté de 10 milliards d’euros (8). Une aubaine et une bouffée d’air.
(1) fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN1J82HT-OFRBS
(2) www.boursier.com/actions/actualites/news/groupe-adp-la-participation-de-l-etat-ne-devrait-pas-bouger-avant-fevrier-2019-774063.html
(3) www.challenges.fr/entreprise/adp-ex-aeroport-de-paris-trois-consortiums-vont-presenter-une-offre-de-rachat_60735
(4) investir.lesechos.fr/actions/actualites/a-la-recherche-d-un-juste-prix-pour-la-privatisation-1778646.php
(5) www.capital.fr/entreprises-marches/adp-trafic-de-paris-aeroport-en-hausse-de-4-2-en-aout-1306717
(6) www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-186580-opinion-valorisation-record-contre-reputation-en-berne-le-paradoxe-du-groupe-adp-en-pleine-privatisation-2204047.php
(7) www.entreprises-et-decideurs.fr/Cession-du-groupe-ADP-quelles-consequences-pour-les-compagnies-et-les-passagers_a1538.html
(8) www.usinenouvelle.com/editorial/le-fonds-pour-l-innovation-c-est-parti.N638308