Il est de ces cafés où la culture a sa place. Ainsi, à l’occasion d’un arrêt à cause de la canicule, j’ai eu la joie d’avoir l’idée de cet article. Derrière moi, sur le dossier de la banquette, trônaient plusieurs livres et éditions poche. Mon regard se fixa sur l’édition en livret d’une pièce de Molière. Comme une évidence je trouvais le début du titre de cet éditorial.
« Les précieuses ridicules »
Car oui, la rixe Booba-Kaaris dans un terminal d’aéroport se résume bien à cela. Ho nooon ! je vous vois venir : pas de réactions homophobes cachées, pas d’insultes déguisées : juste un constat factuel ! Ces deux personnalités n’ont de précieuse que leur faculté à sculpter leur corps là où les précieuses du 17ème siècle sculptaient la langue française. Le point commun ? L’emphase, le fat. Pour ce qui est du ridicule, pas besoin de s’étendre sur la scène filmée de l’altercation des deux bandes des deux quadras testostéronés en pleine régression mentale. Ni de retenir l’axe commun de défense proposé par les avocats, en mode : « c’est lui qu’a commencé !».
Il faut dire que ce titre poquelinesque est fort adapté à l’actualité de l’été : l’épisode Benalla et la danse du ventre des députés de l’opposition face aux caméras de tout poil. Les ministres et autres « dirigeants » confrontés aux commissions d’enquête ! Ici, seule la sémantique s’applique aux situations : que de personnalités précieuses ridiculisées par leurs attitudes respectives !
Comme me le faisait remarquer une connaissance que j’admire ce spectacle désolant qui nous est proposé de suivre en France est vraiment de la « roupie de sansonnet » eu égard à ce qu’il se passe mondialement au niveau politique.
Et c’est après être reparti me chercher un chocolat frappé que mes yeux se sont posés sur un autre ouvrage, … signé Marcel Proust, l’intégrale de :
« A la recherche du temps perdu »
Outre l’année du bac français que deux de ces volumes ont occupé, je ne pouvais m’empêcher d’établir le parallèle entre ce titre, cette œuvre, et le parcours de l’actuel président des États-Unis. La madeleine de Donald Trump est la grandeur à jamais perdue des Etats-Unis. Il essaie pourtant à grands coups de communication virtuelle, surtout Twitter, de donner l’image de ce grand pays régnant sur le monde occidental, gendarme économico-pugilistique du monde. Là où Marcel Proust est exilé du paradis de l'enfance à cause de la disparition de sa mère qu’il estime le moment venu de devoir recréer, Donald Trump, lui, est dans la phase de déni pour son peuple. Jusque dans l’explication présidentielle d’une clarté obscure au sujet des immenses feux de forêt en Californie. Sa madeleine ? La guerre froide, le 1 contre 1. Mais aujourd’hui, si la Russie se relève un tantinet, que l’Europe continue de bégayer, Donald Trump ne peut ignorer la puissance économique de la Chine aujourd’hui et de l’Inde demain.
N’est pas un conteur qui veut. Et ce n’est pas en 280 signes que Donald Trump viendra un jour égaler Marcel Proust. Se tourner vers le passé pour ne pas affronter le futur est certainement digne d’esthétisme littéraire mais fort peu au sens politique. Les jours à venir ne sont pas roses quand l’image de la madeleine est peu à peu remplacée par celle d’un champignon.
J’allais payer mes consommations et demander le mode d’emprunt, fort aisé et sur la base du volontariat et de l’échange, quand je décidais enfin du livre avec lequel j’allais repartir. Dans leur coin, comme pour se cacher, se tenaient plusieurs ouvrages. Presque dans l’ombre, plusieurs classiques s’offraient comme par magie à ma vue. « 1984 », « L’étranger », « Au bonheur des dames » et même « Le seigneur des anneaux tome 1 » trônaient presqu’incognito sur l’étagère. Il me fallait choisir un exemplaire. Chaque titre de ces grands livres me rappelle un fait de société de cet été. Cela me fait sourire. De Big brother à la loi asile jusqu’aux hobbits et le…. « précieux » anneau….ridicule non ?
Je voyais défiler les titres sur la tranche des couvertures comme on consulte une revue de presse. Sentiment bizarre où se mêlent sentiment de déjà vu, ivresse passagère et léger dégoût.
Et puis, en poussant un volume posé en biais, je trouvais mon bonheur :
« La situation des esprits »
Écrit conjointement par Jean-Philippe Domecq et Eric Naulleau, ce livre me plaît a priori. Certes, ce n’est pas un classique, il date de 2012 et il passe en revue la médiocrité du monde culturel, politique en France. Bref toujours d’actualité. Il dresse en partie le portrait de ce qui déjà voilà six, sept ans était ridicule !
Sans me permettre de m’immiscer dans leur dialogue, fut-ce seulement pour les besoins de cet article, je vais conclure ici par ce triste constat de Michel Serres (Le Monde du 10/08/2019) : « Ce n’était pas mieux avant, mais ça pourrait être pire après ! »