Dans un rapport publié le 8 avril, la Croix-Rouge française dresse un état des lieux sans détour de la résilience sanitaire du pays. Entre données de santé publique, inégalités territoriales et défis structurels, l’organisation formule des propositions qui appellent une réponse politique claire, au croisement des enjeux sociaux, économiques et institutionnels.
Les inégalités persistent même dans la santé

En présentant le troisième volet de son rapport sur la résilience de la société française, la Croix-Rouge française choisit en 2025 de centrer son analyse sur un domaine à la fois transversal et structurant : la santé. Cinq ans après la pandémie de Covid-19, l’organisation entend interroger la capacité du pays à répondre collectivement à une nouvelle crise sanitaire et, plus largement, à garantir un accès équitable aux soins. À travers une approche documentée, le rapport combine diagnostics, observations de terrain, analyses sociodémographiques et préconisations, dans une perspective à la fois sanitaire, sociale et politique.
Une dynamique de santé contrastée
Le rapport établit en premier lieu que la santé des Français, considérée globalement, connaît des signes d’amélioration. Certains indicateurs, tels que l’espérance de vie en bonne santé ou la couverture vaccinale infantile, ont connu une progression notable au cours des dernières années. La baisse des consommations de substances addictives chez les adolescents confirme également une efficacité croissante des politiques de prévention.
Mais ces progrès agrégés masquent de profondes disparités. L’analyse territoriale révèle des inégalités marquées selon les zones géographiques, les niveaux de revenu, le genre ou encore l’accès au logement. À titre d’exemple, l’écart d’espérance de vie entre les plus riches et les plus modestes atteint treize années chez les hommes. En parallèle, une part croissante de la population déclare des difficultés d’accès aux soins, en particulier dans les territoires qualifiés de « déserts médicaux ».
Cette hétérogénéité questionne la capacité de l’organisation du système de santé à répondre de manière adaptée aux besoins différenciés de la population. L’uniformité des dispositifs d’accès, encore majoritairement fondée sur des structures centralisées, se heurte à des réalités locales hétérogènes, à commencer par la désertification médicale.
Proximité et égalité d’accès à la santé : un double impératif
C’est autour de la notion de proximité que se structure la réflexion stratégique de la Croix-Rouge. L’organisation insiste sur le fait que les inégalités d’accès aux soins ne sont pas uniquement d’ordre médical : elles traduisent également des inégalités sociales, numériques et géographiques. Le rapport mentionne qu’un tiers des Français a déjà renoncé à se soigner, et que 44 % estiment vivre dans un territoire où les services médicaux sont difficilement accessibles.
La Croix-Rouge appelle alors à redéfinir la notion d’offre de soins, non plus seulement en termes de densité médicale, mais en fonction de la capacité réelle d’une personne à accéder à une prise en charge dans des délais raisonnables. Cela implique de développer des modèles alternatifs, tels que les structures mobiles, la médiation sanitaire ou les dispositifs communautaires d’orientation et de prévention.
Les décisions politiques futures devront donc arbitrer entre des logiques de concentration de l’offre et des besoins de territorialisation de l’action sanitaire. La question n’est plus uniquement budgétaire ou réglementaire : elle est aussi liée à l’organisation de la puissance publique sur le terrain et à la manière dont les politiques sociales sont articulées avec les politiques de santé.
Santé mentale, crise silencieuse et défi institutionnel
Autre volet important du rapport : la santé mentale. La Croix-Rouge alerte sur une problématique encore insuffisamment prise en compte dans les politiques publiques. Environ 28 % des Français jugent leur état de santé mentale préoccupant, mais les réponses institutionnelles restent fragmentées, inégalement réparties sur le territoire et insuffisamment coordonnées.
Pour l’organisation, il est nécessaire de sortir de l’approche hospitalo-centrée et de développer une offre de première ligne en santé mentale, intégrée dans les dispositifs de proximité. Elle plaide pour une stratégie nationale volontariste, adossée à des formations élargies des intervenants sociaux, des enseignants, des professionnels de santé et même des citoyens. Il s’agit ici de réinterroger la gouvernance même des politiques de santé mentale, en la rendant plus transversale, plus locale, mais aussi plus proactive.
Crise sanitaire : une mémoire encore vive, une préparation à structurer
Le rapport revient également sur les enseignements de la pandémie de Covid-19. S’il salue l’engagement des professionnels et des bénévoles, il pointe les lacunes persistantes dans la gestion des situations d’urgence. Une large majorité des personnes interrogées estime que la France ne serait pas en capacité de faire face à une nouvelle crise de même nature.
La Croix-Rouge souligne l’importance de renforcer la coordination entre les services publics, les collectivités territoriales et les acteurs associatifs. Elle propose de mieux encadrer les dispositifs de réserve sanitaire, d’optimiser la logistique d’urgence et de garantir une continuité de l’accès aux soins, y compris en période de tension extrême. Cela suppose une anticipation stratégique, une clarification des rôles entre l’État et ses partenaires, ainsi qu’un cadre de pilotage partagé des réponses aux risques sanitaires.
Une feuille de route en cinq axes pour les décideurs publics
Pour structurer sa contribution au débat public, la Croix-Rouge propose cinq orientations prioritaires.
Elle suggère d’abord d’agir sur l’accessibilité territoriale des soins, en s’appuyant sur les leviers de proximité : structures mobiles, dispositifs d’aller-vers, médiation en santé, ou encore soutien aux professionnels isolés.
Elle invite ensuite à faire de la santé mentale un pilier des politiques publiques, non pas en parallèle des dispositifs existants, mais en les intégrant dans une vision de santé globale.
Le troisième axe vise à améliorer la préparation aux crises, en renforçant les capacités de réponse collective, tant sur le plan logistique qu’en matière de mobilisation citoyenne.
La Croix-Rouge insiste également sur le rôle du secteur privé non lucratif, qu’elle considère comme un pilier de la cohésion sanitaire nationale. Elle appelle à une reconnaissance institutionnelle de son action et à une meilleure sécurisation de ses financements.
Enfin, l’organisation plaide pour une société formée aux gestes de prévention et de secours, à travers la généralisation de l’apprentissage des gestes qui sauvent, en lien avec l’Éducation nationale, les entreprises et les collectivités.
Ces propositions, bien que techniques, ont une portée politique directe : elles engagent une réflexion sur les modèles d’organisation sanitaire, les priorités de financement et les relations entre l’État, les collectivités et les acteurs de la société civile. Elles posent aussi une question de fond : celle du pacte de solidarité à renouveler autour de la santé, dans un pays marqué par la défiance, les tensions institutionnelles et les fractures sociales.