Emmanuel Macron a inventé un nouveau slogan: libérer et protéger. Cette théorisation illustre la double préoccupation classique de la flexi-sécurité à la danoise: moins de réglementation mais plus de protection. Cette pensée relève-t-elle vraiment du libéralisme économique?
Emmanuel Macron a répété à l’envi, durant son interview sur TF1, qu’il voulait « libérer » et « protéger ». L’expression fera sans doute date car elle concentre assez bien la philosophie politique qui émerge au fil des années, et dont le président Macron n’a certainement pas le monopole.
L’éloge de la flexi-sécurité
Dans « libérer » et « protéger », chacun entend évidemment l’allusion à la flexi-sécurité, leit-motiv qui domine les politiques du travail depuis une vingtaine d’années, avec leur sempiternelle référence aux expériences danoises. Le contour de ce projet est trop connu pour qu’on y revienne en détail: moins de réglementation dans le cadre du contrat de travail, mais plus de protection tout au long de la carrière.
Toute la question est de savoir si légitimement ce gimmick de politique de l’emploi peut devenir l’expression d’une vision politique d’ensemble, et si oui, à quelle philosophie se rattache-t-il?
Une résurgence du « en même temps »
Et dans ce « libérer, protéger », il y a bien une expression paradoxale, bien connue dans le répétitif « en même temps » d’Emmanuel Macron.
D’un côté, on parle « liberté » comme par référence au modèle libéral. Et de celui-ci, on connaît les références sémantiques dont la « start-up Nation » d’Emmanuel Macron raffole. Entre « libérer les énergies » et « libérer l’innovation », les formules ne manquent pas pour suggérer que le sens de la politique réside bien dans une plus grande initiative laissée aux acteurs individuels de l’économie. Les vieux briscards prennent évidemment à garde à ne pas confondre la foi et les actes: combien de va-t’en-guerre du libéralisme politique et économique auto-proclamés n’ont-ils pas multiplié les couches toxiques de réglementation pour mieux libérer les énergies?
Il suffit de lire le projet de loi de finances concocté par l’ineffable Bruno Le Maire pour comprendre que la « libération » appelle tôt ou tard des dizaines de pages de réglementation obscure. Mais supposons…
Tout est dans le « protéger » prononcé en même temps que le « libérer ». On retrouve ici la préoccupation du « care ». Il faut être bienveillant, multiplier les dispositifs qui limitent le risque.
On connaît d’ores et déjà la traduction macronienne de cette préoccupation, qui est d’ailleurs inévitable: sa loi sur le terrorisme inscrit « dans le dur » des principes liberticides comme les perquisitions administratives. Ses projets en matière de chômage consistent à étatiser ce qui ne l’est pas encore.
Ce dernier exemple met le doigt sur le sujet de fond: il existe en France une synonymie illusoire entre « protéger » et « étatiser », puisque, dans notre doctrine, l’État est le meilleur protecteur des citoyens.
En même temps, donc, il s’agit de libérer et d’étatiser. On retrouve ici les convictions jeunes-turcs de la garde macronienne.
L’erreur de Macron quand il parle de « protéger »
Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, la protection est assurée par la loi et par l’État, face aux risques « privés », notamment économiques. Le Président ne sort pas ici du credo basique, pour ainsi dire instinctif, de l’énarque moyen.
Et c’est probablement ici le point faible essentiel de la vision macronienne, disons même la raison pour laquelle Macron, contrairement à ce qu’il croit, est un homme de l’ancien monde et non du nouveau. Dans son esprit, la protection est une fonction régalienne monopolistique qui oblige à légiférer en même temps qu’on déréglemente.
Si Macron voulait être du monde du nouveau, il entendrait que le risque et sa « couverture » sont bien mieux assurés, dans la plupart des cas, par un contrat privé que par une réglementation publique. Il ne viendrait par exemple à l’esprit de personne de penser qu’une assurance automobile doive céder la place à un système réglementé avec des indemnisations décidées par l’État. Pour une raison simple: l’État réglemente, les assureurs couvrent le risque.
Lorsque le Président fait passer la fonction protectrice du côté de l’État, c’est pourtant ce qu’il affirme. Sur le fond, on n’y verra pas autre chose que le énième avatar d’un monde où la technostructure ne manque aucune occasion pour étendre son champ d’intervention.
Macron l’illibéral
Dans tous les cas, donc, on se gardera de l’idée selon laquelle Emmanuel Macron serait libéral. Du libéralisme, il a conservé une fraction du vocabulaire. Mais de la technostructure étatiste, il a conservé le reste: le discours intrusif, et cette aspiration au Big Mother qui étrangle les forces vives de ce pays.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog