Vous avez dit "pas d’amalgames" et je l’ai dit avec vous. Je suis de ceux qui considèrent que l’islam a un défi spécifique à relever avec la violence et qui refusent dans le même temps d’amalgamer l’islam dans son ensemble à ses fanatiques.
Pas d'amalgames
Vous avez dit "pas d’amalgames", ne demandons pas aux musulmans de se désolidariser du terrorisme. "Pas d’amalgames" , et vous demandez aux chrétiens de se désolidariser de leurs bourreaux. Les assassins de janvier se réclament des organisations qui ont déporté les chrétiens en Irak, de celles qui ont emprisonné Asia Bibi pour avoir exprimé sa foi, de celles qui ont brûlé vifs un jeune couple dans un four à briques pour blasphème, au Pakistan. Les chrétiens n’ont pas attendu les pétitions parisiennes pour verser leur sang et donner des martyrs de la liberté de conscience. Vous avez dit "pas d’amalgames" et vous demandez aux chrétiens, après un attentat islamiste, de reconnaître la liberté d’expression. Pire encore, après l’assassinat de quatre d’entre eux, vous allez voir les Juifs pour leur intimer de signer votre pétition. Qui ne signe pas n’est pas démocrate.
De la polygamie au pouvoir des curés
Il a fallu que les tenants d’une idéologie pourtant bien identifiée commettent un carnage comme la France n’en a pas connu depuis des dizaines d’années pour que des laïcistes empressés tiennent l’occasion d’accuser les religions. A la pointe, Elisabeth Badinter explique dans Le1 que "la religion doit se limiter à l’espace familial et aux lieux de culte. La religion, c’est une affaire personnelle". RSF, Elisabeth Badinter en tête, somme les religions de s’engager pour la liberté de les offenser. Et dans Marianne, au milieu de propos bienvenus par ailleurs, elle rappelle son combat contre la polygamie et l’excision avant d’enchaîner sur le fait qu’elle ne "pardonne pas à la gauche d’accorder un tel pouvoir aux curés, aux imams et aux rabbins : c’est religieux, c’est sacré !", passant sans sourciller de la polygamie et l’excision au pouvoir des curés.
Charlie Hebdo : la faute des religions ?
Par un même mystérieux saut dans le raisonnement, les chrétiens se retrouvent ainsi pointés du doigt pour les exactions des terroristes islamistes. L’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, des policiers, des Juifs de l’Hypercasher, c’est donc la faute des religions. Qui peut croire à cette fable, sans une forte dose de bonne volonté mais de mauvaise foi ? Manifestement quelques-uns. Mais il ne faut pas en exagérer le nombre ni l’importance : n’oublions pas que, quand le pape a délivré un message puissant aussi spirituel qu’éminemment politique au Parlement européen et au Conseil de l’Europe, deux longues ovations ont salué ses propos.
Les religions ne seront pas réduites au silence
Mais à ceux-là, ceux qui soumettent à l’Eglise une pétition pour le blasphème, ceux qui veulent confiner la foi à l’intime et au culte, je veux dire simplement : cela n’arrivera pas. Peut-être sommes-nous voués à nous opposer aussi longtemps que le débat public durera, mais peut-être faut-il envisager alors de travailler ensemble. Car je le répète : cela n’arrivera pas. Nous ne serons pas réduits au silence, nous ne nous tairons pas, nous ne cantonnerons pas notre foi à l’intime parce que vous voulez nous y contraindre. Des régimes s’y sont essayés par la voie autoritaire : la foi a toujours retrouvé l’air libre. L’Homme est spirituel, il faut vous y faire. Et c’est heureux car rien ne vous autorise à décider qu’il aurait tort de l’être.
Plus encore, le chrétien qui cantonnerait sa foi à l’intime serait un piètre chrétien. Nous croyons en un Dieu incarné, par Son Fils. Pas éthéré, pas confiné, pas cantonné : incarné. Il a pris chair. Il est venu dans la chair des Hommes, venu dans le malheur du monde, venu prendre sa part du fardeau et soulager leur épreuve. Nous ne cesserons donc pas d’essayer chaque jour d’être de meilleurs chrétiens dans notre vie de famille mais aussi dans notre vie professionnelle, dans notre vie publique et politique. Nous ne cesserons pas de refuser les bouc-émissaires, de tendre la main au pauvre, publiquement, dans la rue. Nous ne cesserons pas, avec l’Eglise de toujours et avec le pape d’aujourd’hui, d’en appeler sans cesse publiquement au respect de la sacralité de la personne humaine et de sa dignité, en tous temps et en tous lieux, depuis la conception jusqu’à la fin de la vie, depuis les trottoirs de Manille jusqu’aux barques en Méditerranée.
La religion ne peut se limiter à l'espace familial et aux lieux de culte
Ce n’est pas sans raisons d’ailleurs que l’on n’a guère entendu les tenants de la laïcité sommer le Père Riffard, qui héberge des demandeurs d’asile dans son église, de confiner sa foi à l’intime. Ce n’est pas sans raisons que l’on n’a jamais entendu quiconque intimer à Mère Teresa, à Sœur Emmanuelle, au Père Pedro et à tous les religieux anonymes publiquement engagés chaque jour de par le monde auprès des plus fragiles, de "limiter la religion à l’espace familial et aux lieux de culte". Ce sont exclusivement les positions de l’Eglise sur le respect de l’enfant à naître et de la personne en fin de vie, ou sur les mœurs, qui posent problème et incitent à vouloir la faire taire. Ce n’est donc pas l’expression publique des religions qui posent problème, c’est l’opinion, et la contradiction. Et rejeter la contradiction au nom de la République, de la démocratie et de la liberté d’expression, voilà qui a de quoi interpeller.
Au bout du compte, la laïcité est ainsi réduite à un artifice, et même à une lâcheté, lorsque l’on prétend incriminer les religions dans leur ensemble plutôt que les comportements précis que l’on dénonce, et que l’on ne sait pas, collectivement, affirmer nettement les valeurs que l’on porte et qui s’y opposent. Je veux dire aussi, avec respect, à Elisabeth Badinter que l’universalisme qu’elle revendique n’est pas une génération spontanée, hors sol. Si la France porte une tradition universelle, ce n’est pas tout à fait étranger à la contribution du christianisme, et singulièrement du catholicisme (étymologiquement universel) à l’édification de ce pays. Un christianisme qui, même lorsqu’il n’est pas identifié ainsi, est aussi dans l’ADN de ce pays, dans sa chair et son esprit et ce, notamment depuis que des moines copistes, dotés d’une forte inclination à ne pas cantonner la religion à la sphère intime, ont diffusé la culture, que d’autres ont ouvert des hospices ou créé l’Université.
Pas de silence au nom de la liberté d'expression
Je demanderai enfin à ces contradicteurs, s’ils émettent, empressés, leur propre interprétation des horreurs de ce début janvier, de me laisser forger la mienne, et de penser qu’elles ne sont pas étrangères à l’état d’un pays neurasthénique, sans identité commune, sans vision partagée, sans projet collectif, un pays satisfait de son hédonisme, de son matérialisme et de son individualisme. Ce n’est pas en faisant taire les grandes traditions spirituelles et les plus hautes aspirations de l’Homme que l’on y remédiera. Aussi bien, plus encore aujourd’hui qu’hier, vous ne me ferez pas taire au nom de la liberté d’expression.