Livres d’occasion : vers une taxe sur la revente pour payer les auteurs ?

Sous pression des éditeurs et auteurs, le gouvernement veut imposer un droit de suite sur les ventes de livres d’occasion.

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Par Grégoire Hernandez Publié le 14 avril 2025 à 11h11
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Livres d’occasion : vers une taxe sur la revente pour payer les auteurs ? - © PolitiqueMatin

Le livre ne se revend plus en silence. Derrière chaque exemplaire d’occasion, un conflit souterrain entre création littéraire et logique marchande.

Livres : un marché d’occasion en pleine expansion

Longtemps marginal, le marché des livres d’occasion s’est métamorphosé en quelques années en un secteur structuré et lucratif. En 2023, un livre sur cinq vendus en France l’était sur ce marché, selon une étude conjointe de la Sofia et du ministère de la Culture. Il représentait alors 350 millions d’euros, soit près de 10 % du marché du neuf. Surtout, la vente en ligne a tout changé : Recyclivre, Amazon, Vinted, Momox sont devenus les nouveaux intermédiaires d’un marché de masse où les auteurs ne touchent... rien.
« 18 % des auteurs constatent que leurs ouvrages sont revendus le jour même de leur sortie, et 42 % dans les jours ou semaines suivantes », note une enquête menée en février 2025 auprès de 1 768 auteurs. Le déséquilibre est criant : les auteurs touchent entre 6 % et 12 % à chaque vente neuve… mais 0 % sur les reventes, quelles qu’elles soient.

Face à cette asymétrie, le ministère de la Culture a annoncé, le 11 avril 2025, vouloir instaurer un « droit de suite au droit d’auteur », s’appliquant aux livres revendus en occasion. Objectif : permettre aux auteurs et éditeurs de percevoir une rémunération sur chaque revente, et d'injecter ces ressources dans la création littéraire. Le gouvernement souhaite intégrer cette disposition, via un amendement, dans la proposition de loi portée par Sylvie Robert (PS) et Laure Darcos (LR).
Ce geste ne sort pas de nulle part. Emmanuel Macron, en 2024, lors du Festival du livre de Paris, avait déjà évoqué la nécessité d’une « contribution » des revendeurs pour soutenir la filière du livre. Depuis, les attentes se sont tendues : Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, dénonce une forme « d’injustice économique » et milite pour un prélèvement « indolore » sur les plateformes à but lucratif.

Les plateformes dans le viseur, pas les bouquinistes

Le projet ne s’attaque pas à tous les revendeurs. Le ministère a précisé vouloir exclure les acteurs de l’économie sociale et solidaire, comme Emmaüs, ainsi que les très petits commerces, notamment les bouquinistes des quais de Seine. En clair : ce ne sont pas les passionnés ou les ressourceries qui sont visés, mais bien les plateformes qui ont industrialisé la revente à bas coût.
Le consensus dans le secteur est de confier la gestion des droits collectés à la Sofia, qui gère déjà le droit de prêt et la copie privée. Mais qui va réellement payer ? Les plateformes répercuteront-elles le coût sur les vendeurs ou les acheteurs ? Quel sera le montant ? Et surtout, comment tracer les ventes ?

Le gouvernement pose ici une première brique d’un chantier plus vaste : celui de la rémunération des créateurs dans l’économie de la seconde main numérique. Aujourd’hui, musiciens, illustrateurs ou auteurs voient leurs œuvres circuler sans contrepartie. La mise en place d’un droit de suite dans le livre devient donc un test politique.
Mais les critiques émergent déjà. Certains, comme le Syndicat de la librairie française, rappellent que le marché de l’occasion est en repli depuis 2024, et que la véritable urgence reste la baisse du nombre de lecteurs, pas celle des marges.
Le gouvernement prend le risque d’irriter à la fois les lecteurs, les plateformes… et certains acteurs du livre. Car si les auteurs espèrent une rémunération équitable, les modalités d’application, elles, restent à arbitrer, et pourraient faire grincer bien d’autres dents

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