Logement social : un projet de loi contre le “maintien à vie” rejeté en commission

Une proposition de loi visant à mieux encadrer le maintien dans le logement social en fonction des évolutions du niveau de vie a été rejetée en commission.

Adelaide Motte
Par Adélaïde Motte Publié le 28 mars 2025 à 12h00
Logement Social
Logement social : un projet de loi contre le “maintien à vie” rejeté en commission - © PolitiqueMatin

Peut-on encore parler de solidarité lorsque certains foyers, bien au-dessus des seuils de ressources, continuent d’occuper un logement social pendant que d’autres attendent depuis des années ? La question est délicate, et elle a été posée frontalement au Parlement à travers une proposition de loi qui visait à changer les règles du jeu. Rejeté fin mars 2025, le texte n’a pas survécu aux débats.

Une proposition de loi controversée

Le 25 mars 2025, une proposition de loi déposée par le député Guillaume Kasbarian, ancien ministre du Logement, a été rejetée en commission à l’Assemblée nationale. Le texte proposait d’abaisser le seuil de revenus autorisé pour rester dans un logement social, et d’autoriser une fin de bail dans certains cas.

Actuellement, un locataire peut rester dans son logement tant qu’il ne dépasse pas 150 % du plafond de ressources, même s’il doit verser un surloyer. Le texte proposait de réduire ce seuil à 120 %, tout en excluant les quartiers classés en politique de la ville pour préserver la mixité sociale.

Au sein de la majorité : entre prudence et désaccord

La première réaction est venue de la ministre du Logement, Valérie Létard. Sur franceinfo le 27 mars 2025, elle a affirmé : « Il faut éviter d’aller trop loin dans les dispositions », tout en indiquant qu’elle partageait « le principe de libérer des logements pour ceux qui en ont besoin ». Elle a souligné la nécessité d’adapter les règles sans fragiliser l’équilibre des quartiers concernés.

Cette position modérée tranche avec celle de la ministre déléguée à la Ville, Juliette Méadel, qui a salué le rejet du texte. Dans une publication sur le réseau X, elle s’est félicitée de l’abandon d’un projet qu’elle jugeait inadapté aux quartiers populaires, invoquant le risque d’affaiblir la mixité sociale. Selon la ministre, le maintien dans des logements sociaux de ménages plus aisés permettrait aux ménages précaires de fréquenter d'autres catégories de population, donc de limiter la fracture avec le monde de l'emploi, ou encore la fracture numérique.

Si cet argument peut s'entendre, il est néanmoins fragilisé par le fait que les ménages vivant dans des logements sociaux profitent d'aides publiques payées par le contribuable, et surtout qu'ils occupent des logements dont d'autres ménages plus précaires ont cruellement besoin.

Une opposition fragmentée

Du côté de la gauche, la France insoumise et le Parti socialiste ont critiqué la proposition de loi, la qualifiant de mal ciblée. Selon Thomas Portes (LFI) « le droit au logement social à vie n’existe pas, mais il faut une approche humaine ». Le groupe écologiste s’est également opposé au texte, évoquant un risque de fragilisation de ménages modestes à la frontière des seuils.

Plus modérée, la position du groupe LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) a consisté à amender le texte pour en limiter les effets, avant de voter son rejet. Leur crainte : voir des cas particuliers mal encadrés se transformer en règles générales.

Des acteurs du logement partagés

Les associations de locataires ont exprimé leur opposition au texte, estimant qu’il visait « une minorité de situations » et qu’il risquait de créer de l’instabilité pour certains foyers. Cinq d’entre elles ont signé une déclaration commune évoquant une « instrumentalisation éhontée » de cas exceptionnels.

En revanche, certains bailleurs sociaux et acteurs de terrain ont reconnu que le surloyer actuel n’est pas toujours suffisamment dissuasif. Environ 80 000 foyers paient un surloyer, mais très peu quittent leur logement. La mesure aurait concerné environ 30 000 ménages dans un premier temps, puis 3 000 par an.

Le logement social, un système sous pression

Le parc de logements sociaux en France représente un peu plus de 5 millions d’unités. Mais la demande ne cesse de croître. En 2023, on comptait environ 2,4 millions de foyers en attente, un chiffre stable depuis plusieurs années. Dans les grandes agglomérations, les délais d’attribution peuvent dépasser six à huit ans, notamment en Île-de-France et dans les grandes métropoles.

Cette situation s’explique par une pénurie de logements abordables, un rythme de construction insuffisant, et par le fait que de nombreux ménages, une fois installés dans un HLM, y restent pendant de longues années, parfois toute leur vie.

Un parc social saturé, des situations contrastées

Dans les faits, certains logements sociaux sont aujourd’hui occupés par des personnes dont les revenus ont beaucoup augmenté depuis leur attribution. Il n’est pas rare de trouver, dans certaines zones urbaines, des foyers déclarant plus de 70 000 euros nets annuels qui résident légalement dans des HLM.

Ce phénomène, bien que limité en proportion, alimente un sentiment d’injustice chez de nombreux demandeurs. À l’inverse, des ménages vieillissants, ou des foyers ayant connu une période de fragilité, peuvent voir leurs revenus fluctuer au fil des années sans pour autant accéder à la propriété ou au marché privé.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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