Lycée Averroès : l’État sommé de rétablir les subventions coupées

Dans les couloirs feutrés des tribunaux administratifs, l’avenir du lycée musulman Averroès vient de se jouer. Cet établissement lillois recevra finalement les subventions de l’Etat, quels que soient les griefs des politiques de divers bords à son encontre.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Published on 23 avril 2025 16h19
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Lycée Averroès : l’État sommé de rétablir les subventions coupées - © PolitiqueMatin

Le 23 avril 2025, le tribunal administratif de Lille a tranché : le lycée musulman Averroès, situé à Lille, retrouvera son contrat d’association avec l’État, annulé par la préfecture du Nord en décembre 2023. Une décision retentissante, qui fait suite à une procédure étalée sur plus d’un an.

La revanche du droit : Averroès récupère son contrat d’association

À l'origine de l’affaire : la résiliation de ce contrat par le préfet Georges-François Leclerc, au nom de « manquements graves aux principes fondamentaux de la République ». En effet, les soupçons étaient nombreux : financement étranger (notamment qatari), contenu pédagogique islamiste, ouvrages douteux, sans parler de l'accusation de laisser proliférer un « état d’esprit contraire aux valeurs républicaines » parmi les élèves. Autant de griefs démontés un à un par la juridiction administrative.

Le rapporteur public avait affirmé dès l’audience du 18 mars que « aucun élément probant » ne permettait de confirmer ces accusations. Un fameux recueil cité comme preuve de dérives doctrinales, cité dans une liste de lecture, n'était par ailleurs pas présent au CDI de l'établissement et inconnu de certains membres de l'équipe du lycée, dont le directeur. Le tribunal a donc conclu à une procédure irrégulière et des preuves insuffisantes.

Un bras de fer politique sur fond de crispations identitaires

Le cas Averroès dépasse largement les frontières du simple contentieux administratif. Depuis sa création en 2003, le lycée musulman sous contrat — le plus réputé de France, qui affiche d’excellents résultats au baccalauréat — cristallise les tensions. Derrière la bataille juridique se cachent de profondes interrogations politiques sur l’enseignement privé confessionnel, la laïcité, et la capacité de l’État à contrôler ses propres conventions, sans parler de la tolérance de la France face à un islam plus ou moins rigoriste.

La décision du préfet de l’époque, Georges-François Leclerc, s’appuyait sur des documents « suffisamment tangibles pour considérer que les élèves étaient en danger ». En commission parlementaire, ce même préfet évoquait des « éléments documentaires » relevant du « salafo-frérisme », mélange explosif de salafisme et d’idéologie des Frères musulmans. Face à cela, le directeur de l’établissement, Éric Dufour, a dénoncé une procédure biaisée, et affirmait : « Les enfants sont en sécurité chez moi ».

Averroès : une école, un symbole, une obsession

Selon les inspections de l’Éducation nationale, n’a jamais présenté de déviance pédagogique ou doctrinale suffisante pour justifier une rupture de contrat. Néanmoins, en tant que lycée musulman particulièrement important en France, il cristallise certaines craintes autour du développement de l'islam.

En France, les établissements privés, et plus encore confessionnels, sont régulièrement scrutés par la loi. Si les établissements catholiques passent souvent entre les gouttes, notamment en raison de la culture française judéo-chrétienne, il n'en va pas de même pour les établissements musulmans. D'autant que l'islam, n'étant pas passé par le tamis de la laïcisation à la française, reste une religion avec laquelle le politique a du mal à composer.

L’école, le droit, et l’ombre des puissances étrangères

La résiliation du contrat avait des conséquences financières immédiates : une perte estimée à 1,6 million d’euros pour l’établissement, des effectifs en baisse et une déstabilisation de l’équipe pédagogique. Le rétablissement du contrat implique donc la reprise des subventions publiques, mais aussi, implicitement, une reconnaissance d’un excès de zèle préfectoral.

Bien que les opposants au lycée Averroès ait apporté au dossier un certain nombre d'intuitions et suspicions, elles n'ont pas suffi au tribunal, qui a souligné l’absence de preuve. De quoi justifier le rétablissement des subventions au lycée.

En rétablissant le contrat du lycée musulman Averroès avec l'Etat, la justice a rappelé une vérité simple : la laïcité, la façon de qualifier un établissement, et les subventions qui peuvent lui être accordées, répondent à un cadre précis. Un cadre nécessaire pour arbitrer en-dehors des émotions, quoi qu'on puisse toujours questionner son interprétation par la justice.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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