N’y a-t-il pas mieux à faire que de gloser sur la moindre expression des responsables politiques, est-ce aux journalistes « politiques » de qualifier les situations, de définir les problèmes, de fixer les termes de nos débats ?
Manuel Valls a parlé de « guerre de civilisation » pour qualifier l’action qu’appellent les violences islamistes. Le premier Ministre a-t-il trouvé les mots justes, demandent les médias –du moins jusqu’à ce qu’une autre expression chasse celle-ci ? N’a-t-il pas péché par excès, ses propos ne sont-ils pas « alarmistes et contestables », affirme par exemple un de ces commentateurs, Gérard Courtois ( Le Monde, 1er juillet) ? Et pour qui n’aurait pas compris l’importance de la question, le même commentateur, et tant d’autres avec lui, nous rappelle que six mois plus tôt, quand Nicolas Sarkozy, avait employé cette même expression, il avait suscité les « critiques cinglantes » de la gauche. Ainsi fonctionne le couple que forment journalistes et politiques : les premiers commentent jusqu’à l’obscénité les moindres propos des seconds pour ramener les grands problèmes à des jeux politiciens.
Et bien non, cessons d’accorder la moindre importance à ces bavardages journalistiques ! En parlant de guerre, le premier Ministre a indiqué à juste titre que nous sommes engagés dans un conflit lourd, qui mobilise des acteurs structurés sur un mode guerrier : les faits que tous avaient en tête au moment où il parlait ne se limitent pas à des actes criminels ordinaires, ni même à l’action de quelques groupes terroristes. Et en parlant de « civilisation », la notre, il nous à invités à opposer nos valeurs humanistes à la barbarie de ceux qui tentent de faire régner la terreur et une cruauté extrême à une échelle planétaire. Fallait-il polémiquer, ou relayer les polémiques politiciennes pour en faire un enjeu intellectuel lourd, exiger d’autres mots pour désigner un combat qui dure, et qui met de nombreuses sociétés et Etats aux prises avec des acteurs et des réseaux engagés dans une lutte sans merci, avec la perspective pour les plus centraux de créer leur Etat sur un mode guerrier, et (Tunisie notamment) de détruire ailleurs la démocratie ? Ne peut-on pas accepter le constat qui fait que nous mettons en place une législation sécuritaire et que nous devons vivre collectivement sous haute protection, avec, au delà des vies humaines, et face à des violences armées, le souci de préserver des valeurs, une culture, une conception du vivre ensemble –ce que le mot de « civilisation » peut fort bien exprimer ?
Le premier Ministre a annulé la deuxième partie d’un important voyage officiel en Amérique latine pour revenir de Bogota à Paris immédiatement, dès l’annonce de tragiques évènements en Isère, en Tunisie et au Koweit, marquant ainsi la gravité des faits. Il n’a pas dissocié ces faits d’épisodes précédents : le terme de guerre permet aussi de souligner la continuité et l’importance des actes qui depuis les évènements du Liban en 1982 dessinent un panorama de violence globale dense et de longue durée.
Manuel Valls nous demande, en parlant de civilisation, de le soutenir dans ses efforts pour défendre non seulement notre nation, et celle d’autres pays, mais, au-delà, l’humanisme, la démocratie, le droit - des principes supérieurs : qui peut soutenir qu’il a tort et affirmer comme s’il s’agissait simplement de lutter contre le crime, de surveiller et réprimer des esprits perturbés et radicalisés, ou d’éviter le passage à l’acte de groupuscules et autres « loups solitaires » ? Réductions et pseudo-débats ramènent à des jeux politiciens médiocres des enjeux qui vont bien au-delà. Pour nombre de journalistes, le seul problème qui mérite intérêt, le seul horizon pertinent sont ceux, bien franco-français, que constituent les élections présidentielle puis législatives de 2017, et en amont le positionnement des éventuels candidats à la magistrature suprême.
La question de l’affrontement avec le mal, la violence extrême, portée à l’échelle globale par des acteurs plus ou moins guerriers est ainsi noyée dans un présentisme politicien et bien franchouillard. Manuel Valls aurait peut-être pu trouver d’autres mots, toujours est-il que ceux qu’il a employés ne sont pas scandaleux. Ils appellent autre chose que des commentaires transformant la réalité d’une violence sans limite et des menaces qu’elle fait planer sur notre planète en misérables analyses qui se veulent politiques.