À mesure que les révélations sur des violations des droits humains se multiplient, les gouvernements peinent à imposer un cadre législatif efficace.
Multinationales et droits humains : les Etats peuvent-ils agir ?
Un rapport du Club des Juristes alerte sur la recrudescence des poursuites judiciaires visant des entreprises françaises accusées de violations des droits humains à l’étranger. Si la loi sur le devoir de vigilance de 2017 leur impose déjà certaines obligations, son application demeure lacunaire, et les multinationales continuent de naviguer entre les failles juridiques.
La France face à l’épreuve du devoir de vigilance
En 2017, la France adopte une loi qui fait figure de pionnière en Europe : le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre. Ce texte impose aux grandes entreprises de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. En théorie, cette loi place la France à l’avant-garde d’un mouvement international en faveur d’une plus grande responsabilisation des entreprises. En pratique, les résistances demeurent nombreuses.
Depuis son entrée en vigueur, son application reste limitée. De nombreuses entreprises ne publient pas de plan de vigilance conforme aux exigences légales, et les sanctions tardent à tomber. La crainte des milieux économiques s’est matérialisée sous la forme d’un lobbying intense pour restreindre la portée de la loi. Certains parlementaires, sensibles aux arguments des grandes firmes, ont plaidé pour un assouplissement du dispositif. En conséquence, les actions en justice se heurtent à une multitude d’obstacles juridiques qui freinent leur aboutissement.
L’Europe entre ambition et inertie sur les droits humains
À Bruxelles, la régulation des multinationales est un sujet explosif qui divise les États membres. Depuis 2021, la Commission européenne tente d’élaborer une directive sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de durabilité. Ce texte vise à harmoniser les législations nationales en imposant aux entreprises opérant en Europe de respecter des normes minimales en matière de droits humains et d’environnement.
Mais comme souvent, les divergences entre les pays ralentissent le processus. Certains États, comme l’Allemagne ou la France, soutiennent un cadre contraignant, tandis que d’autres, à l’image des Pays-Bas ou de l’Irlande, défendent une approche plus souple, craignant un frein à la compétitivité de leurs entreprises. Dans ce bras de fer, les lobbys économiques exercent une influence considérable pour édulcorer le texte et éviter des contraintes excessives.
La récente adoption d’un projet de règlement européen sur l’interdiction des produits issus du travail forcé témoigne pourtant d’une volonté politique grandissante de responsabiliser les acteurs économiques. Inspiré de la législation américaine, ce texte pourrait contraindre les entreprises à prouver que leurs chaînes d’approvisionnement sont exemptes d’exploitation humaine. Son application dépendra toutefois de la capacité des États membres à mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces.
Un droit international à la traîne
Au-delà des initiatives nationales et européennes, c’est l’absence d’un cadre juridique international réellement contraignant qui permet aux multinationales de contourner leurs obligations. Si les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits humains, adoptés en 2011, établissent des recommandations, ils n’ont pas de valeur obligatoire. L’Organisation internationale du travail (OIT) produit également des conventions, mais leur ratification et leur mise en œuvre restent à la discrétion des États.
La Cour pénale internationale (CPI) pourrait jouer un rôle accru dans la répression des violations graves commises par des entreprises, notamment en matière de complicité de crimes contre l’humanité. Mais là encore, les obstacles sont considérables. À ce jour, aucune entreprise n’a été jugée par la CPI, malgré des dossiers de plus en plus nombreux impliquant des multinationales opérant dans des zones de conflit.
L’initiative la plus ambitieuse reste celle du traité contraignant sur les entreprises et les droits humains, porté depuis plusieurs années par un groupe de pays mené par l’Équateur et l’Afrique du Sud. Ce projet vise à imposer aux entreprises une responsabilité juridique en cas de violation des droits humains, avec des mécanismes de sanction applicables au niveau international. Cependant, ce texte est farouchement combattu par les grandes puissances économiques, qui freinent son adoption pour préserver leur compétitivité.