Face à la hausse structurelle des dépenses de santé, les mutuelles entendent revoir les règles du jeu. À travers un projet de réforme des remboursements des lunettes entre autres, elles espèrent redéfinir leur rôle au sein d’un système à la recherche de soutenabilité.
Mutuelles santé : les lunettes seront-elles moins remboursées qu’avant ?

Le 11 avril 2025, le président de la Mutualité Française, Éric Chenut, a dévoilé dans un entretien aux "Echos" les grandes lignes d’un projet de révision des modalités de remboursement de certaines prestations de santé. Ce plan, qui concerne notamment les lunettes et les audioprothèses, intervient alors que les dépenses de santé continuent d’augmenter à un rythme supérieur à celui du produit intérieur brut. En toile de fond, un enjeu budgétaire croissant pour les complémentaires santé, mais aussi une volonté de repositionner les garanties autour des soins jugés « essentiels ».
Allonger les délais de remboursement : une mesure budgétaire ciblée
La mesure la plus immédiatement visible concerne les délais de renouvellement des équipements optiques et auditifs. La Mutualité Française propose que le remboursement d’une paire de lunettes ne soit plus possible que tous les trois ans, contre deux aujourd’hui. Pour les audioprothèses, le délai passerait de quatre à cinq ans.
Selon Éric Chenut, cette évolution vise à « agir sur la dynamique de dépense de santé » afin de rendre le système plus soutenable. En d’autres termes, il s’agit de freiner l’effet inflationniste du remboursement automatique et régulier de dispositifs dont le coût reste élevé. Pour les complémentaires santé, cette orientation répond à une logique de régulation par le délai : en espaçant les remboursements, elles espèrent contenir l’envolée des prestations versées sans remettre en cause l’existence même de la prise en charge.
Une refonte du contrat responsable dans le viseur
La réforme envisagée ne s’arrête pas à ces ajustements calendaires. La Mutualité souhaite également revoir les contours du « contrat responsable et solidaire », ce cadre de référence qui conditionne notamment les avantages fiscaux accordés aux complémentaires. En recentrant ce contrat sur un panier de soins plus restreint, la Mutualité entend mieux hiérarchiser les dépenses et alléger les obligations de remboursement.
Concrètement, cela pourrait signifier un plafonnement à 30 euros du remboursement des montures de lunettes (contre 100 actuellement). D’autres postes, comme les soins dentaires ou les actes liés à la pose d’audioprothèses, pourraient également faire l’objet d’un ajustement des niveaux de couverture.
L’objectif est double : d’un côté, limiter les charges pesant sur les complémentaires ; de l’autre, préserver l’accessibilité aux soins prioritaires en concentrant les ressources disponibles sur ce que la Mutualité qualifie de « socle des soins essentiels ».
Un discours partagé par les assureurs privés
Cette orientation stratégique ne se limite pas aux structures mutualistes. Les assureurs privés, qui couvrent environ un tiers du marché de la complémentaire santé, partagent cette analyse. Selon les informations publiées dans Les Échos, les deux grandes fédérations du secteur, Mutualité Française et Fédération Française de l’Assurance, travaillent actuellement à une proposition commune qui sera soumise à l’exécutif dans les jours à venir.
Ce consensus interprofessionnel reflète une inquiétude partagée sur la soutenabilité financière du modèle actuel. En moyenne, les dépenses de santé en France ont progressé de 20 % entre 2019 et 2023, atteignant 11,5 % du produit intérieur brut selon les chiffres de la DREES. Cette croissance continue exerce une pression croissante sur les mutuelles, dont les marges d’ajustement sont de plus en plus réduites par les obligations de remboursement.
Une rationalisation qui interroge sur l’accès aux soins et aux lunettes
Si les arguments économiques avancés sont compréhensibles, ils suscitent néanmoins des interrogations sur les conséquences sociales d’une telle réforme. Allonger les délais de remboursement, réduire le niveau de certaines prises en charge, revoir à la baisse le périmètre des prestations couvertes : autant de leviers qui, selon leurs détracteurs, pourraient pénaliser les populations les plus vulnérables.
Des professionnels de santé alertent également sur les effets indirects de cette réforme. Dans le secteur de l’optique, par exemple, une baisse des remboursements pourrait entraîner une contraction de la demande et fragiliser des milliers de petites entreprises. Du côté des patients, certains redoutent une médicalisation différée de certains troubles visuels ou auditifs, par simple manque de moyens.
Le débat est d’autant plus sensible que la réforme touche à des domaines très concrets du quotidien : la vue, l’audition, l’accès aux soins de prévention. Autrement dit, des sujets qui, pour beaucoup de Français, ne relèvent pas seulement de la gestion budgétaire mais bien d’un droit à la santé.
Au-delà des mesures techniques annoncées, la position des mutuelles peut être interprétée comme une tentative de redéfinir leur rôle dans un paysage de la santé en pleine évolution. Faut-il rester sur une logique de couverture large, quitte à renchérir les cotisations ? Ou faut-il se recentrer sur un panier de soins ciblé, mieux maîtrisé mais plus restrictif ?