Traquer les têtes du réseau, démanteler les filières, multiplier les saisies : l’État durcit le ton face au narcotrafic. Une nouvelle loi, discutée au Sénat le 28 janvier 2025, veut porter le coup fatal aux réseaux criminels en s’attaquant directement à leur argent.
Narcotrafic : l’État s’attaque (enfin) à l’argent sale
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Le 28 janvier 2025, le Sénat a débattu d’une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le narcotrafic en France. Ce texte, porté par une alliance transpartisane, ambitionne de frapper les trafiquants là où ça fait le plus mal : leur portefeuille.
Des mesures pour tarir les finances criminelles
Les sénateurs Jérôme Durain (Parti socialiste) et Étienne Blanc (Les Républicains) ont construit un projet structuré autour de plusieurs axes majeurs. Le premier enjeu est la saisie et la confiscation des biens criminels. Le projet propose de créer une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée : toute personne exhibant un train de vie incompatible avec ses revenus devra justifier l’origine de ses fonds. Cette mesure répond à un problème souvent observé dans certaines banlieues : les ouvriers qui partent travailler le matin constatent que leur voisin, qui ne travaille pas, roule dans une voiture de sport et se demandent - ou plutôt ne se demandent pas - comment il a pu se la payer.
D'autre part, le projet de loi prévoit d'appliquer systématiquement la présomption de blanchiment : un trafiquant ne pourra plus revendiquer un bien acheté avec des fonds d’origine douteuse. Enfin, les avoirs criminels seront immédiatement confisqués pour éviter que les suspects déplacent leurs biens à l’étranger.
Justice et administration unies contre le narcotrafic
Un parquet national spécialisé contre le crime organisé doit également être créé. Il interviendra sur les affaires de grande envergure, à l’image du parquet national antiterroriste. Ses magistrats seront formés aux réseaux financiers complexes pour traquer l’argent sale. Il devrait remplacer la Junalco, actuellement en charge des crimes financiers liés aux stupéfiants.
D'autre part, le projet prévoit des sanctions économiques ciblées, comme la fermeture administrative accélérée des commerces suspects servant au blanchiment d’argent : bars à chicha, épiceries, ongleries, etc, l'interdiction aux entreprises frauduleuses d’exercer toute activité commerciale, et enfin la radiation des sociétés écran du registre du commerce et des sociétés (RCS) en cas de non-déclaration des bénéficiaires réels.
Ces mesures sont saluées par les élus locaux, qui y voient de nouveaux outils pour combattre le narcotrafic qui gangrène de nombreuses villes en France, y fait régner l'insécurité et baisser l'attractivité. Ainsi, Mickaël Delafosse, maire de Montepellier, estime que « Si on veut vraiment lutter contre ce fléau, il ne faut avoir aucun état d’âme pour aller chercher l’argent des voyous. »
Le narcotrafic en France : une économie parallèle florissante
Le chiffre d’affaires du narcotrafic en France est estimé entre 3,5 et 6 milliards d’euros par an, un montant qui a doublé depuis 2010. Ce commerce illégal repose sur une organisation pyramidale, où l’argent remonte des petites mains aux gros bonnets. Les dealeurs de rue ne sont que la vitrine d’un business aux ramifications internationales, impliquant blanchiment d’argent, corruption et violence extrême.
L’une des pratiques préférées des trafiquants est le blanchiment de proximité. Cela peut passer par l'achat de commerces, comme des épiceries, des salons de coiffure ou des restaurants, où l'argent de la drogue est versé comme s'il s'agissait de bénéfices. On peut également falsifier les dépôts de comptes et organiser la faillite, puis récupérer l'argent blanchi grâce au rachat de l'entreprise par un tiers.
Les criminels investissent également dans l’immobilier via des mules bancaires. Ils achètent des biens sous des identités empruntées, paient des travaux en liquide et revendent avec une forte plus-value. Le narcotrafic suit donc des mécaniques bien rôdées, d'autant que les risques sont faibles. Un rapport sénatorial estime ainsi que « aujourd’hui, la prison n’est plus une vraie sanction pour les trafiquants. Ils acceptent cet aléa du métier et continuent à gérer leurs affaires depuis leur cellule. »
Loi contre le narcotrafic : révolution ou écran de fumée ?
Si l’objectif du gouvernement est clair – tarir les flux financiers du narcotrafic –, les experts restent sceptiques quant aux moyens alloués. La création du parquet national anticriminalité (Pnaco) suscite notamment des interrogations car plusieurs magistrats s’inquiètent du flou autour de son périmètre d’action.
On ne sait en effet qui décidera les affaires dont le Pnaco se saisira, ce qui fait courir des risques de corruption, ni s'ils sera autonomes vis-à-vis des parquets locaux. Enfin, ses missions devront s'articuler avec celles de la Junalco et les Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ? De plus, sans effectifs, cette réforme risque de rester un coup d’épée dans l’eau.