Nucléaire : doit-on attendre les réacteurs EPR2 pour 2038 ?

Le programme nucléaire français, fer de lance de la souveraineté énergétique voulue par Emmanuel Macron, voit son calendrier une nouvelle fois repoussé. L’Élysée a annoncé que la mise en service du premier réacteur EPR2, initialement prévue pour 2035, interviendra finalement en 2038.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 18 mars 2025 à 12h55
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Lundi 17 mars 2025, lors d’un Conseil de politique nucléaire, Emmanuel Macron a entériné un décalage de trois ans pour la mise en service du premier réacteur de la nouvelle génération EPR2. Cette annonce marque un nouvel ajustement dans la politique énergétique du chef de l’État, qui avait fait de la relance du nucléaire un pilier stratégique de son quinquennat.

Un report assumé, mais politiquement risqué

À l’issue de cette réunion, l’Élysée a justifié ce report par la nécessité d’optimiser la gestion budgétaire du programme, tout en adaptant le calendrier aux réalités industrielles et aux évolutions du marché de l’électricité. Une explication qui, si elle paraît pragmatique, pourrait néanmoins nourrir des critiques sur la crédibilité des engagements du gouvernement en matière de transition énergétique.

Depuis son discours de Belfort en février 2022, Emmanuel Macron s’était engagé à construire six nouveaux réacteurs EPR2, avec une option pour huit supplémentaires. L’objectif affiché était alors clair : garantir l’indépendance énergétique de la France, tout en réduisant la part des énergies fossiles. En acceptant ce report, le gouvernement prend donc le risque de fragiliser un pilier central de sa stratégie énergétique.

L'enjeu budgétaire du nucléaire, au cœur des arbitrages politiques

L’une des raisons majeures de ce report tient à la dynamique budgétaire du programme. Lorsque le projet a été annoncé, les estimations de coût tournaient autour de 51,7 milliards d’euros. Mais en trois ans, ces prévisions ont été revues à la hausse à plusieurs reprises, atteignant 67,4 milliards en 2023 et 79,9 milliards en 2025. L’inflation des matières premières, la réévaluation des exigences de sûreté et la hausse des coûts de main-d’œuvre ont conduit l’exécutif à revoir son approche.

Ce surcoût massif pose un problème d’équilibre budgétaire pour l’État et EDF. Le gouvernement a donc opté pour une approche plus prudente, avec un financement structuré autour d’un prêt d’État bonifié, censé couvrir au moins 50 % des coûts de construction. Ce modèle, inspiré du financement de la centrale tchèque de Dukovany, permet à EDF de bénéficier d’un soutien public tout en limitant l’impact immédiat sur les finances publiques.

En reportant la mise en service des réacteurs EPR2, le gouvernement s’expose à une remise en cause de sa stratégie énergétique. La majorité présidentielle devra défendre ce report face aux critiques de l’opposition et aux interrogations des partenaires européens, notamment à Bruxelles, où le soutien public aux projets nucléaires est scruté avec attention.

L’exécutif sous pression face aux attentes industrielles

Au-delà des enjeux budgétaires, ce report met également en lumière les difficultés industrielles auxquelles est confrontée la filière nucléaire française. La pénurie d’ingénieurs et de techniciens qualifiés complique le bon déroulement des projets, conséquence directe de décennies de désinvestissement dans la formation. Cette carence en compétences ralentit l’avancement des chantiers et oblige EDF à redoubler d’efforts pour recruter et former de nouveaux talents.

Par ailleurs, la sécurisation de l’approvisionnement en uranium devient un enjeu important. L’État a récemment validé un plan d’action destiné à renforcer la souveraineté énergétique française. Cet effort passe notamment par un soutien accru à Orano (ex-Areva), afin d’augmenter les capacités d’extraction et de transformation de l’uranium sur le territoire national.

Enfin, EDF doit aussi relever un défi technologique de taille. L’entreprise cherche à optimiser ses modèles de réacteurs en intégrant les dernières avancées en matière de sûreté et d’efficacité énergétique. Ce travail d’amélioration implique une phase d’ingénierie plus longue, mais il est indispensable pour éviter de reproduire les erreurs du passé, comme celles observées sur le chantier de Flamanville.

Dans ce contexte, l’exécutif fait donc le choix de la prudence plutôt que de l’accélération, préférant un report à une mise en service précipitée qui pourrait s’avérer plus coûteuse à long terme.

Un pari sur l’avenir énergétique du pays

L’ambition du gouvernement est de faire du nucléaire l’un des principaux leviers pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Mais ce calendrier allongé pourrait fragiliser cette stratégie, en obligeant la France à prolonger la dépendance aux centrales existantes et aux énergies fossiles importées.

Dans un contexte où l’Union européenne accélère ses investissements dans les énergies renouvelables, ce retard pourrait également nuire à la position de la France dans les négociations sur la politique énergétique européenne. Si le nucléaire reste reconnu comme un élément clé du mix énergétique, les délais cumulés des grands projets français pourraient affaiblir la crédibilité de Paris lorsqu’il s’agit de promouvoir cette technologie à l’échelle continentale.

Une opposition divisée entre pragmatisme et critiques

Si ce report suscite des critiques, il ne fait pas pour autant l’unanimité parmi les opposants au gouvernement. À droite, certains élus plaident pour une accélération du programme nucléaire, dénonçant un manque de volontarisme de l’exécutif. Ils jugent que ce retard pénalise la souveraineté énergétique du pays et affaiblit l’industrie nucléaire française face à la concurrence internationale.

À gauche, le ton est plus contrasté. Si une partie de l’opposition considère que ce report illustre l’échec d’un modèle nucléaire trop coûteux et trop lent, d’autres voix, notamment au sein du gouvernement, estiment au contraire que ce délai permettra d’améliorer la sécurité et la rentabilité du projet.

Les écologistes, quant à eux, voient dans ce report un argument en faveur d’un investissement accru dans les énergies renouvelables, affirmant que ce retard prouve que le nucléaire ne peut pas être la seule réponse aux défis climatiques.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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