Polémique. À un mois de l’élection pour la présidence des Républicains, Laurent Wauquiez tente le tout pour le tout pour s’offrir les faveurs des sympathisants en jetant un pavé dans la mare. Le député de la Haute-Loire (Auvergne-Rhône-Alpes), dans le cadre d’un entretien accordé à nos confrères du Journal du Dimanche, dimanche 7 avril 2025, a émis la proposition suivante : enfermer les étrangers sous OQTF « dangereux » dans des centres de rétention sur le territoire ultramarin français de Saint-Pierre-et-Miquelon.
OQTF : Wauquiez réinvente le bagne et se prend un tollé


La proposition de Laurent Wauquiez a suscité l'indignation d'une large partie de la classe politique – de la gauche à la droite – ainsi que celle des élus locaux. Tout est-il pourtant à jeter ?
Wauquiez veut isoler les OQTF « dangereux » à Saint-Pierre-et-Miquelon
Laurent Wauquiez veut frapper fort : dans une interview au Journal du Dimanche publiée le 7 avril 2025, il propose d’installer un centre de rétention à Saint-Pierre-et-Miquelon pour y enfermer les étrangers considérés comme « dangereux » et visés par une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). Son argument ? En 2024, seules 13 000 expulsions ont été exécutées sur 140 000 ordres prononcés. Pour lui, ce chiffre incarne l’inefficacité du système. Il affirme vouloir « mettre fin à l’impuissance actuelle de l’État » en rendant la rétention plus ferme, plus longue, et surtout plus dissuasive.
Pour l’ancien ministre et président de la région Auvergne-Rhône-Alpes l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon coche toutes les cases : isolé, hors de l’espace Schengen, et au climat peu engageant. « Il fait 5 degrés de moyenne pendant l’année, 146 jours de pluie et de neige. Je pense qu’assez rapidement ça va amener tout le monde à réfléchir », a-t-il soutenu dans les colonnes du JDD. L’idée est claire : pousser les étrangers dangereux visés par une OQTF à choisir à « choisir entre Saint-Pierre-et-Miquelon et leur pays d’origine ».
Une proposition d'inspiration étrangère
La proposition choque, mais elle n'est pourtant pas si originale. On se remémore en effet le cas du Royaume-Uni, qui, en 2022, avait conclu un accord avec le Rwanda prévoyant l’envoi d'immigrés illégaux vers Kigali. Celui-ci fut néanmoins de courte durée : malgré son adoption par le Parlement britannique en avril 2024, le Premier ministre britannique issu du parti travailliste, Keir Starmer, dès son arrivée à Downing Street en décembre 2024, l'a abrogé, le considérant coûteux, inhumain et inefficace.
L'Italie non plus n'est pas étrangère à la proposition de Laurent Wauquiez vis-à-vis des OQTF dangereux. Bien qu'elle soit, elle aussi, sujette à controverse, la politique migratoire de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a fait ses preuves. Et pour cause, celle-ci revendique une baisse de 62 % de l'immigration irrégulière en 2024 par rapport à 2023. Ces résultats découlent directement des accords de coopération renforcée conclus avec la Libye et la Tunisie, qui ont permis le renvoi de 21 000 migrants en situation irrégulière. S’y ajoutent la création — temporairement suspendue par la justice italienne — de centres d’accueil externalisés en Albanie, l’allongement de la durée légale de rétention, ainsi que sur la restriction des droits procéduraux accordés aux demandeurs d’asile. Laurent Wauquiez ne s’en est d'ailleurs aucunement caché, celuo-ci ayant explicitement pris pour exemple nos voisins : « En Italie, la durée de rétention est de 18 mois, au Royaume-Uni elle est illimitée. Il faut cesser d’avoir un système où les personnes sont remises dehors au bout de 90 jours ».
La classe politique dit non
La proposition a provoqué un véritable tollé sur l'échiquier politique. Manuel Valls, ministre des Outre-mer, dénonce une logique « de colon » : « Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est la France, pas une prison ou un centre de rétention » (Europe 1, 9 avril 2025). Pieyre-Alexandre Anglade (Renaissance) n’a pas hésité à railler Laurent Wauquiez, estimant qu’il « n’a plus que le nom de son parti de républicain », tout comme Fabien Roussel (PCF): « On croyait avoir touché le fond… ils ont décidé de creuser la piscine » (La 1ère).
Marine Le Pen non plus n'a pas ménagé sa critique à l'égard de Laurent Wauquiez : « Les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont pas des sous-citoyens. La place des OQTF, c’est dans leur pays » (Europe 1). La critique est encore plus vive du côté des élus de Saint-Pierre-et-Miquelon, Bernard Briand, président du conseil territorial, ayant été jusqu'à qualifier Laurent Wauquiez de « Donald Trump de chez Wish ». Qu’on l’approuve ou non, Laurent Wauquiez a le mérite d’avancer une solution, là où d’autres se contentent de la dénoncer.
Quelle autre solution ?
Malgré la polémique suscitée par la proposition de Laurent Wauquiez, celle-ci s’appuie, d’une part, sur les difficultés chroniques de la France à faire appliquer les OQTF et, d’autre part, sur un constat tout aussi manifeste que problématique : la surpopulation carcérale française. Comme l'indiquaient les chiffres du ministère de la Justice, au 1er février 2025, les établissements pénitentiaires comptaient 81 599 détenus pour seulement 62 363 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de 130,8 %.
À noter par ailleurs que la proposition de Laurent Wauquiez trouve des échos, notamment chez certains élus tels que Jean-Marc Governatori, qui suggèrent d’utiliser les îles françaises inhabitées comme lieux de détention : « Notre pays comprend plus de 1 000 îles inhabitées. […] Des centres dans ces îles lointaines inciteraient certains à quitter d’eux-mêmes notre territoire ».
Un combat de coqs en toile de fond
Quoi qu’il en soit, il est difficile de ne pas y voir un coup politique soigneusement calibré. La proposition de Laurent Wauquiez de transférer les OQTF dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon intervient en effet à quelques semaines de la prochaine élection pour la présidence du parti Les Républicains, prévue les 17 et 18 mai 2025. Un scrutin à la fois symbolique et décisif, puisqu’il offrira au vainqueur un avantage certain dans la course à l’élection présidentielle de 2027.
Déclaré candidat à deux mois de l’élection interne du parti, Bruno Retailleau fait figure de grand favori pour décrocher le fauteuil. DIl faut dire que depuis sa nomination au ministère de l’Intérieur, sa cote de popularité ne cesse de grimper, celui-ci multipliant les prises de position offensives sur l’immigration, la sécurité, ou encore au sujet des relations franco-algériennes. Une ligne qui séduit une base militante lassée des compromis idéologiques, et de plus en plus réceptive à une fermeté assumée.

Diplômée en sciences politiques et relations internationales, journaliste chez Économie Matin & Politique Matin.