Le jeudi 30 janvier 2025, la Maison de l’Océan à Paris a accueilli la 4ᵉ édition des conférences « Les Outre-mer aux avant-postes », organisées par Le Point. Une des tables rondes de ce cercle de conférences était dédiée au statut de la Nouvelle-Calédonie. Face à la crise calédonienne, ravivée par la réforme électorale de 2024 et les émeutes meurtrières du 13 mai, trois invités – Ferdinand Mélin-Soucramanien, président du Conseil d’Administration de l’INSP et professeur de droit public, Nicolas Matzdorf, député loyaliste de Nouvelle-Calédonie, et Manuel Valls (en visioconférence), ministre d’État des Outre-mer – ont abordé le sujet hautement sensible du statut de la Nouvelle-Calédonie.
Les Outre-mer aux avant-postes : quelle piste pour sortir la Nouvelle-Calédonie de l’impasse ?
Nouvelle-Calédonie : la vieille piste de la partition
L’idée d’une scission de la Nouvelle-Calédonie a été évoquée à plusieurs reprises dans l’histoire française. En 1957, en pleine guerre d’Algérie, Alain Peyrefitte proposait un projet de division du territoire, une piste immédiatement écartée par Charles de Gaulle : « Alain Peyrefitte, vous n’allez pas nous faire un Israël français », rappelle Ferdinand Mélin-Soucramanien.
Souscrivant à cette analyse, celui-ci considère en effet qu'une partition ne mettrait pas fin aux tensions. Au contraire, elle les ancrerait davantage dans le droit et la durée. Comme Ferdinand Mélin-Soucramanien a tenu à la souligner, « l’époque coloniale a été très violente pour les Kanaks. Tout ce passé pèse lourdement dans le débat et les tensions actuelles. » Nonobstant, « personne ne veut d’une partie indépendante et d’une partie française. Car tous, loyalistes comme indépendantistes, se sentent calédoniens », explique le député de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Matzdorf, qui prend soin de souligner que « la Nouvelle-Calédonie est deux fois plus grande que la Corse et qu'elle possède une structure territoriale complexe. Une division politique superposée à une division ethnique serait ingérable ». C'est dans cette impasse que se trouve actuellement la Nouvelle-Calédonie.
Depuis les années 1980, l’archipel a connu plusieurs vagues de violences meurtrières. Entre 1984 et 1989, les affrontements entre indépendantistes kanaks et loyalistes ont fait plus de 70 morts. Le point culminant fut la prise d’otages d’Ouvéa en 1988, où 27 gendarmes furent capturés par des militants du FLNKS, entraînant une intervention militaire qui se solda par la mort de 19 indépendantistes, 4 gendarmes et 2 militaires. Loin d’apaiser la situation, une partition serait un terreau fertile pour de nouveaux affrontements. Nicolas Matzdorf, député loyaliste et rapporteur de la réforme électorale de 2024, est catégorique : « Les indépendantistes eux-mêmes n’en veulent pas. » Une partition n’aurait par conséquent aucun sens institutionnel, et encore moins politique selon les deux intervenants.
Pour rappel, l’archipel est divisé en trois provinces, avec une population fortement différenciée :
- Province Nord : majoritairement kanake (75 %) et indépendantiste
- Province des Îles Loyauté : quasiment exclusivement kanake (94 %) et indépendantiste
- Province Sud : plus diversifiée, avec une forte présence européenne et asiatique, mais où les Kanaks représentent 27 %
De manière plus générale, les Kanaks représentent 43 % de la population totale de Nouvelle-Calédonie, tandis que les personnes d'origine européenne en constituent environ 23 %.
Le retour de la violence en mai 2024
Depuis les années 80-90, il y a eu une certaine accalmie des tensions entre les loyalistes et les indépendantistes. Mais celles-ci ont été ravivées suite à plusieurs référendums portant sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie (quatre au total, qui se sont tous soldés par un NON), puis par la réforme électorale votée le 13 mai 2024. Le bilan des émeutes fut particulièrement lourd : 14 morts et plusieurs centaines de blessés.
Pour les indépendantistes, la réforme visait à « minoriser le peuple autochtone kanak. » « On avait exclu 25 % de la population calédonienne des élections pour montrer patte blanche devant les indépendantistes. Ce système n’était pas viable », justifie Nicolas Matzdorf, rapporteur du projet de loi sur ladite réforme, qui est par ailleurs issu d'une famille présente sur le territoire calédonien depuis 1843 - soit 10 ans avant la colonisation - et qui est depuis lors placé sous protection policière. Manuel Valls, ministre d’État des Outre-mer, qui connaît particulièrement bien le « dossier », celui-ci ayant été chef de cabinet de Rocard au moment des accords de Nouméa en 1998, mais aussi Premier ministre des Outre-mer depuis la création du ministère, le reconnaît : « La Nouvelle-Calédonie peut basculer dans la violence », à entendre par là : la guerre civile.
Une instabilité politique qui freine les négociations
Depuis 2017, sept ministres des Outre-mer se sont succédé, un record qui témoigne de l'impact de l'instabilité du gouvernement dans la gestion de la crise calédonienne. Nicolas Matzdorf n'a d'ailleurs pas caché son inquiétude à l'égard de l'éventuelle durée de vie du gouvernement Bayrou et de ses répercussions sur ce territoire d'outre-mer : « Je suis malheureusement sceptique sur la durée de vie de Manuel Valls, je crains que l’on ne puisse finir le processus des négociations (...) L’instabilité en métropole nous affaiblit énormément, puisque la motion de censure a annulé – le budget prévu, en autre, pour la Nouvelle-Calédonie. »
L’Accord de Nouméa (1998), qui devait assurer une transition vers plus d’autonomie, est aujourd’hui plus que contesté, sa promesse n'ayant pas été tenue suite à l'absence de ligne directrice de la part des précédents gouvernements, et alors même que les trois référendums d’indépendance (2018, 2020, 2021), qui devaient montrer patte blanche aux indépendantistes, ont tous abouti au « NON». Malgré ces derniers, aucun consensus n'a été trouvé, et la crise calédonienne reste dans l'impasse.
Quid d’un « fédéralisme interne » ?
Plutôt qu’une partition, une restructuration interne du territoire semble être la meilleure option selon les deux intervenants de cette table ronde organisée par Le Point. « Ce dont on parle, c’est un fédéralisme interne : compétences très fortes pour les localités, ce qui est le cas pour les provinces. Renforcer les provinces pour que les populations majoritaires s’organisent » explique Ferdinand Mélin-Soucramanien. Actuellement, les trois provinces de la Nouvelle-Calédonie, nées des Accords de Matignon-Oudinot (1988) – qui ont suivi la prise d'otages – possèdent des compétences élargies, mais certaines se superposent, ce qui crée des tensions entre elles. De fait, pour Ferdinand Mélin-Soucramanien : « Le destin commun – l'objectif du vivre-ensemble voulu par l’Accord de Nouméa n’ayant pas été atteint – il faut renforcer les provinces pour donner aux populations locales un réel pouvoir de décision.»
Concrètement, cela signifie accorder aux provinces des compétences élargies, et surtout distinctes en matière de foncier, d’éducation, de culture, et d’économie. « Chacun maître chez soi » en somme. Cette sorte de « fédéralisme interne » permettrait d’éviter une opposition binaire entre indépendantistes et loyalistes, en leur donnant à chacun plus d’autonomie sans pour autant acter une séparation totale d’avec la France.
Conscient d’être sur un siège éjectable, le ministre d'État des Outre-mer, Manuel Valls, a confirmé avoir relancé les négociations en vue d'obtenir un premier accord d'ici le 31 mars 2025. Celui-ci serait suivi d'une proposition de loi d'ici le mois de juin 2025, en vue d'une application de la réforme institutionnelle en 2026. Un calendrier particulièrement serré, et qui s'inscrit, encore une fois, dans un contexte hautement politique, ces échéances arrivant en pleine période de pré-élections.
Nouvelle-Calédonie, année zéro de la violence politique ?
Une question essentielle face à la situation politique actuelle de ce territoire.
Nous l’avons posée à @NicolasMetzdorf, député de Nouvelle-Calédonie, qui livre un point de vue engagé et marqué ⬇️.
Il sera présent lors… pic.twitter.com/nOcBl4uqZx— Le Point Événements (@LePointEvents) January 28, 2025