Sous les feux croisés de l’exécutif, de l’opposition et des juristes, la loi sur la sécurité dans les transports vient de subir une révision musclée. Le Conseil constitutionnel, garant de l’équilibre institutionnel, a censuré certains articles clefs du texte, empêchant notamment les agents privés de la SNCF et de la RATP d’expulser les voyageurs contrevenants.
RATP, SNCF : quand la Constitution freine les velléités d’ordre

Le 24 avril 2025, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré la loi relative au renforcement de la sécurité dans les transports, concernant notamment la RATP et la SNCF, adoptée quelques semaines plus tôt au Parlement. Cette décision intervient dans un climat de crispation sur les enjeux de sûreté publique, de libertés fondamentales et de séparation des pouvoirs. Alors que le gouvernement cherchait à répondre à une demande sociale croissante pour davantage de contrôle dans les espaces ferroviaires et métropolitains, notamment à la SNCF et à la RATP, le juge constitutionnel est venu réaffirmer les lignes rouges juridiques et institutionnelles.
La loi pour la sécurité dans les transports partiellement censurée
Adoptée au Parlement en mars 2025 à l’initiative du sénateur Philippe Tabarot (Les Républicains), devenu entre-temps ministre des Transports, la loi visait à renforcer les moyens d’action des agents de la SNCF et de la RATP. Les dispositions prévoyaient notamment :
La possibilité pour les agents de refuser l’accès aux gares et trains à certains individus.
L’autorisation de palpations de sécurité, sans validation préfectorale.
La pérennisation de l’usage des caméras-piétons.
Et surtout, l’extension de leur mission à l’exclusion physique de voyageurs troublant l’ordre.
Mais avant la promulgation, les groupes parlementaires LFI, Écologiste et Socialiste ont saisi le Conseil constitutionnel, invoquant des atteintes aux principes fondamentaux.
Quand le Conseil constitutionnel rappelle la nature de l’ordre public
Dans sa décision n° 2025-878 DC, le Conseil constitutionnel a refusé d’ouvrir la porte à une délégation de l’usage de la force à des agents de sécurité privée, parmi lesquels ceux de la SNCF ou de la RATP. En substance, la censure repose sur trois fondements majeurs :
Principe de monopole de la contrainte par l’État :
Le Conseil rappelle que « les mesures de contrainte relèvent, par nature, de la seule compétence des autorités de police ». Dès lors, permettre à des agents non assermentés d’exercer une contrainte physique pour expulser un individu constitue une atteinte à la Constitution.Risque de rupture d’égalité devant la loi :
En conférant à des personnels salariés d’entreprises publiques un pouvoir habituellement réservé aux forces de l’ordre, la loi créait une rupture dans la hiérarchie des normes sans justification suffisante.Sécurité juridique et protection des libertés :
Le Conseil a estimé que les garanties procédurales entourant l’expulsion de voyageurs de la RATP ou de la SNCF n’étaient ni explicites, ni encadrées par une autorité de contrôle indépendante.
La SNCF doit faire marche arrière
Cette censure s’inscrit dans une tradition constante du Conseil constitutionnel, qui, depuis les années 1980, refuse systématiquement toute banalisation du recours à la contrainte physique en dehors du champ régalien. La décision n° 2011-625 DC sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) avait déjà affirmé que des agents privés, notamment ceux de la SNCF, ne pouvaient exercer des pouvoirs coercitifs sans encadrement précis.
Par ailleurs, le Conseil a fait usage de sa jurisprudence sur les "cavaliers législatifs", en censurant plusieurs articles annexes, dont :
La prolongation jusqu’en 2027 de la vidéosurveillance algorithmique, expérimentée pendant les Jeux olympiques de Paris 2024.
Le port de Taser par les agents de la Suge (SNCF), sans lien direct avec l’objet principal de la loi.
Entre efficacité sécuritaire et principes républicains
Pour l’exécutif, cette loi représentait une réponse politique forte face à la montée des incivilités dans les transports. Mais la censure illustre une tension récurrente entre volontarisme sécuritaire et respect de l’État de droit.
Dans les couloirs du Sénat, certains élus de la majorité présidentielle dénoncent déjà une « lecture rigide du droit », tandis que l’opposition de gauche crie victoire. Pour Matthieu Orphelin, député écologiste, « le Conseil constitutionnel vient de rappeler que la sécurité ne peut être détachée de la justice ».
Reste à savoir si le gouvernement choisira de reprendre certaines mesures via d'autres textes, ou s’il renoncera à déléguer aux agents des responsabilités considérées jusqu’ici comme régaliennes.
Une reconfiguration inachevée des missions de sécurité
Au terme de cette décision, seuls certains volets de la loi entrent en vigueur :
Les palpations sans autorisation préfectorale sont désormais permises.
Les agents peuvent refuser l’accès aux lieux sans exercer de force physique.
Le port de caméras-piétons est consolidé.
Mais l’essentiel de la réforme attendue par les opérateurs de transports est mis en échec. Les chiffres sur les violences et menaces dans les réseaux ferrés restent préoccupants : selon le ministère de l’Intérieur, près de 5 200 incidents graves ont été recensés dans les transports en commun en 2024, soit une hausse de +11 % par rapport à 2023. Un contexte qui rendra l’arbitrage politique d’autant plus délicat dans les mois à venir, et qui risque de tendre le dialogue social.