Extension de la redevance copie privée : la Culture à la manoeuvre

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Par Rédacteur Modifié le 4 juin 2021 à 6h02
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10%En 2020, 10% des smartphones vendus en France étaient des reconditionnés.

La rémunération copie privée (RCP) pourrait bientôt être étendue aux produits d’occasion reconditionnés. C’est en tout cas le souhait de l’organisme collecteur Copie France, qui multiplie les offensives à l’égard des reconditionneurs. Dernière en date, le vote d’un barème spécifique au reconditionné le 1er juin 2021. Les reconditionneurs sont vent debout contre une ponction qu’ils jugent injuste et dépassée. Explications.

La proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France poursuit son parcours législatif. Adopté par le Sénat en début d’année, le texte vient d’être adopté par la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, le 28 mai dernier. Le projet de loi doit encore être discuté en séance publique, début juin.

Et le débat promet d’être houleux, car l’article 14 bis B dudit projet cristallise les tensions. Cet article propose que les produits reconditionnés soient exonérés de RCP. Pour rappel, ce système de compensation de perte de droits d’auteurs, mis en place en 1985, vise à rémunérer les artistes et le monde de la création en prélevant une commission sur la vente de supports vierges, comme des smartphones ou des tablettes, pouvant servir à copier une œuvre (film, musique, série…).

La ministre de la Culture Roselyne Bachelot, farouchement opposée au 14 bis B, a demandé qu’il soit purement et simplement écarté, déclarant à l’AFP que « certains voudraient que lorsque des œuvres sont téléchargées sur un appareil reconditionné, les créateurs ne perçoivent plus de rémunération, c'est inconcevable ».

Plutôt deux fois qu’une

Si pour l’heure, l’article est maintenu en l’état après examen de la Commission saisie au fond à l’Assemblée nationale avec le soutien de la majorité des députés saisis, tout n’est pas joué et le ministère de la Culture peut compter sur un allié de poids. L’organisme Copie France, chargé de percevoir la fameuse RCP, mène depuis des mois des offensives à répétition contre cet article, et à plus forte raison, contre les acteurs du reconditionné. Sur Twitter, Marc Rees, rédacteur en chef du média spécialisé Next INpact, a dévoilé que Copie France avait adressé, fin mai, un courrier aux députés, les appelant à supprimer « la disposition d’exonération de la copie privée pour les appareils reconditionnés ».

Une action de lobbying discrète, qui a conduit certains députés de la majorité à voler au secours de Roselyne Bachelot sur Twitter pour défendre cette extension de la RCP, comme Aurore Bergé. Hasard ou coïncidence, une tribune a aussi été mise sur pied et publiée dans les colonnes du JDD : signée par plus de 1600 artistes, elle appelle « à ne pas opposer culture et écologie ».

Une tribune de stars fortement critiquée sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes reprochant à la pétition d’amalgamer l’extension de la RCP aux produits reconditionnés et l’abolition de cette redevance, qui n’a jamais été à l’ordre du jour. Une mobilisation des « artistes », qui fait grincer des dents sur le web, certains estimant cette prise de parole corporatiste pour défendre leurs revenus est quelque peu déplacée en pleine crise économique et sanitaire, qui plus est contre le pouvoir d’achat des catégories populaires, les plus impactés par cette potentielle extension.

Une crise qui trouve probablement ses origines au printemps dernier : le 26 mai 2020, Next INpact toujours, révélait que Copie France avait assigné des reconditionneurs afin de leur faire payer la RCP. L’organisme militait pour que soit appliquée cette redevance, notamment aux téléphones reconditionnés de plus de 64 gigas, soit 90% du marché pour un montant de 14€ par téléphone. Et alors même que la loi est encore en discussion et faisant fît du débat démocratique, les sociétés de perception et de répartition des droits (Sacem, SACD, SCPP, SPPF, Adami, Spédidam, etc.) ont lancé une énième offensive en votant le lundi 1er juin un barème pour les produits reconditionnés à hauteur de 8,40€ pour les smartphones et de 9,10€ pour les tablettes lors de la réunion en Commission copie privée, « Une commission indépendante composée de représentants des redevables et des bénéficiaires, qui a pour mission de déterminer les modalités de mise en œuvre de la rémunération pour copie privée », peut-on lire sur le site du ministère de la Culture.

Cette dernière attaque intervient en amont de la séance publique du 10 juin, tandis que les travaux de la Commission du Développement durable saisie au fond à l’Assemblée nationale ont confirmé un soutien majoritaire à l’exonération du reconditionné. Après publication de ce nouveau barème courant juin au JORF, les reconditionneurs devront donc payer la RCP dès le 1er juillet, alors même que le législateur n’aura pas définitivement tranché tant le sujet est clivant.

Une importante manne financière

Actuellement, la RCP est payée sur le produit neuf ayant fait l’objet d’une commercialisation sur le marché. Copie France demande à ce qu’elle le soit une seconde fois sur le produit d’occasion. Ce qui reviendrait à faire payer deux fois ladite redevance au consommateur. Un non-sens pour les acteurs de la filière.

De plus, si la RCP devait être étendue, le pouvoir d’achat des Français serait impacté par la hausse des coûts des smartphones et ordinateurs reconditionnés. « Le prix d’un smartphone neuf est pourtant plus élevé que celui d’un ordinateur. En moyenne, il faut débourser 420 euros pour s’équiper, une fortune pour la plupart des consommateurs ! », expliquait le Sirrmiet dans un communiqué publié en mai dernier. Et d’ajouter : « Ces articles remis à neuf, dont les fonctionnalités sont garanties par des professionnels, sont jusqu’à 70% moins chers que leurs homologues neufs. Une économie indispensable pour la majorité des consommateurs : 67% des Français intéressés par les smartphones reconditionnés expliquent que c’est bien leur prix qui les rendent attractifs. »

Selon le syndicat, ce sont aussi la moitié des 5 000 emplois portés par la filière qui sont menacés ainsi et toute une économie circulaire, maillon essentiel pour réduire l’impact environnemental du numérique. L’objet même de cette loi, soit dit en passant. « Rappelons, en effet, que plus de 75% de cet impact provient de la fabrication des terminaux. L'allongement de leur durée de vie est donc clé », met en garde le syndicat.

Des pratiques qui évoluent

Plus globalement, le marché du reconditionné s’interroge sur la pertinence même de la RCP, alors même que les consommateurs copient de moins en moins sur leurs terminaux. Interviewé par Le Figaro, Jean-Lionel Laccoureye, PDG de Bak2 et président du Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (Sirrmiet), expliquait : « Les mémoires des smartphones sont utilise?es pour sauvegarder des vide?os et des photos personnelles, surtout par les jeunes qui sont abonnés a? des plateformes de streaming. » Dès lors, payer une redevance sur des appareils en fonction de leur capacité de stockage semble quelque peu daté.

Une économie utile menacée

Mais alors, pourquoi s’échiner ? Selon l’UFC Que Choisir, en 2012, la perception moyenne de la RCP par habitant était 4,8 fois plus élevée en France qu’en Europe. En 2020, Copie France a perçu 273 millions d’euros (M€). Cette redevance étendue aux produits reconditionnés, ce chiffre gonflerait encore de 25 à 30 M€ par an. Une manne financière importante selon la culture.

En revanche, pour la filière du reconditionné, les pertes seraient d’environ 150 millions d’euros et déstabiliseraient toute une économie, s’inquiétaient le Sirrmiet et la Fédération des acteurs du réemploi (RCube), dans une lettre conjointe adressée en février dernier au Premier ministre Jean Castex.

Conflit d’intérêts ?

Toujours cité par Le Figaro, Jean-Lionel Laccoureye va plus loin et s’interroge sur le fonctionnement de la Commission Copie privée. La commission paritaire est notamment composée de représentants des bénéficiaires (les fameuses sociétés de perception et de répartition des droits), de consommateurs et de fabricants. Cette redevance élargie au reconditionné pourrait effectivement venir en aide aux ayants droit et plus largement au monde de la culture, très impacté par la crise sanitaire, bien que les assignations en justice ont précédé la crise que l’on connait. Mais surtout, les fabricants ont ici une occasion en or de freiner l’expansion du marché du reconditionné qui empiète de plus en plus sur leur marché : en 2020, 10% des smartphones vendus étaient des reconditionnés, soit deux fois plus qu’en 2018.

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