Une réforme pour fusionner le service audiovisuel public et déplafonner leurs recettes publicitaires
Cela fait depuis 2020 que traîne la proposition de réforme du secteur audiovisuel public. Celle-ci a été remise sur la table sous l'impulsion de la ministre de la Culture, Rachida Dati. Le gouvernement envisage de créer une société holding en janvier 2025 qui regroupera France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA, avant de les fusionner en une seule entité, France Médias, en janvier 2026. « Cette réforme de l'audiovisuel public doit permettre de proposer une offre plus riche, mieux mise en avant sur les canaux de diffusion pour qu'elle puisse s'adresser à tous les Français », précise l'amendement de la proposition de réforme. Étrange, car les principales chaînes de France Télévisions sont les seules à bénéficier de la fréquence Multiplex R1 (France 2, France 3, France 4, Franceinfo - hormis Arte (multiplex R4) et LCP (multiplex R6)). Les chaînes privées, quant à elles, sont toutes sous la fréquence multiplex R2, R3, R4, etc. Même chose pour les fréquences hertziennes : France Inter, première radio de France, dispose en effet de 630 émetteurs répartis sur le territoire national, ce qui lui permet de couvrir 62,7 millions d'habitants - soit de toucher presque l'ensemble de la population française - tandis que RTL, deuxième radio de France, ne dispose que de 270 émetteurs, ce qui limite de facto sa portée à 50,4 millions de Français.
Un autre aspect distinctif du service public est que ces recettes publicitaires sont, selon le contrat d’objectif et de moyen (COM) signé avec l'État, limitées à 42 millions d'euros par an. Un montant déjà conséquent, qui contribue à son budget global, budget qui, nous le rappelons, a été augmenté de 6 % en 2024 par le gouvernement pour atteindre 4,025 milliards d'euros. Cette contrainte, loin d'être un handicap, se révèle être un atout pour les auditeurs qui apprécient un contenu moins perturbé par les annonces commerciales. France Inter, par exemple, est limité à 3 minutes de publicités par heure pendant les heures de grande écoute. Pour France Télévisions, cette règle se traduit par une interdiction de publicité après 20 heures, ce qui lui permet d'attirer un large public. L'objectif de cette restriction fixé par le COM ? Garantir une équité entre le service public et le secteur audiovisuel privé. Pourtant, comme le révèle Radio France elle-même sur son site officiel, ce plafond est déjà dépassé puisque ses recettes publicitaires lui ont permis de générer 64 millions d'euros en 2022 : 41 millions provenant de la publicité commerciale et du parrainage, 16 millions de la publicité digitale, et 7 millions des messages d'intérêt général. Or, la proposition de réforme du service audiovisuel public vise à déplafonner ses recettes publicitaires.
Pour le député Renaissance Quentin Bataillon, membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, cette réforme vise à garantir l'indépendance financière de l'audiovisuel public. Loin de partager cet avis, le sénateur Laurent Lafon (Union centriste), président de la commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication du Sénat, considère que « les recettes publicitaires de Radio France et France Télévisions ne doivent pas augmenter. C'est une ligne rouge à ne pas franchir », pour éviter que cela ne mène à une concurrence déloyale entre l'audiovisuel public et privé.
Les inquiétudes des radios privées
Les principaux acteurs privés de l’audiovisuel, tels que M6 (RTL, RTL2, Fun Radio), Altice Media (RMC, BFM Business) et Lagardère-Vivendi (Europe 1, Europe 2, RFM), sont en alerte face à cette réforme. Ces derniers dénoncent une concurrence déloyale qui pourrait les fragiliser davantage. Comme le souligne David Larramendy, président du groupe M6 : « Le budget des 7 stations de Radio France équivaut à celui de l'ensemble des autres radios privées. Il y a donc un déséquilibre dans la concurrence ».
Le secteur de l'audiovisuel privé, déjà fragilisé par des restructurations économiques et qui peine à garder la tête hors de l'eau, craint que le déplafonnement des recettes publicitaires du service public n'aggrave leur situation. « Ils ont perdu la tête au gouvernement ! Au lieu de demander aux dirigeants de Radio France de se serrer la ceinture, ils vont piller les recettes des radios privées, déjà en difficulté. C'est du grand n'importe quoi ! », s'indigne un dirigeant de radio, qui a souhaité rester anonyme, auprès de nos confrères du Point.
Il faut dire que cette réforme leur enlèverait de facto des parts de marché sur les créneaux horaires de grandes écoutes. Le gouvernement, de son côté, se défend de vouloir faire des économies sur son budget accordé à l'audiovisuel public. Mais comme le souligne un expert de l’audiovisuel, et la redevance télé ayant été supprimée en 2022, « il est probable qu’il y ait eu une discussion entre Bercy et le ministère de la Culture. Bercy a dû dire d'accord pour la fusion, à condition qu’elle n’entraîne pas de coûts supplémentaires pour l’État ». Il est donc fort à parier que le gouvernement compte bien sur le déplafonnement des recettes publicitaires pour équilibrer le tout.