Attendu depuis plusieurs jours, le remaniement ministériel a enfin été annoncé ce 16 octobre. Un jeu des chaises musicales qui n’a pas épargné le 246 boulevard Saint-Germain, avec la nomination d’une nouvelle secrétaire d’État à l’Écologie en la personne d’Emmanuelle Wargon. Elle devra rapidement contribuer à arbitrer de nombreux dossiers chauds : nucléaire, transport, Europacity…
Le 4 septembre dernier, François de Rugy quittait le perchoir de l’Assemblée nationale pour devenir ministre de l’Écologie. La fracassante démission du ministre Hulot et la nomination de l’ancien responsable d’Europe Écologie les Verts annonçaient un changement d’orientation de la politique environnementale du gouvernement, moins à l’écoute des associations et plus attentive aux besoins des entreprises.
Une inflexion confirmée par la nomination de la nouvelle Secrétaire d’État à l’Écologie, Emmanuelle Wargon. Ancienne fonctionnaire, Emmanuelle Wargon était depuis 2015 directrice générale affaires publiques et communication chez Danone, passant ainsi de la haute fonction publique au privé avant de rejoindre le gouvernement. Un pedigree qui ne sera pas de trop pour venir épauler François de Rugy, confronté à plusieurs dossiers très chauds dans les prochains mois.
Nucléaire, transport : comment fixer un cap clair ?
Depuis plusieurs années, les objectifs gouvernementaux en termes de sortie du nucléaire rentrent en contradiction avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Car une sortie précipitée de l’atome entrainerait quasi mécaniquement une augmentation de la consommation des énergies fossiles, l’éolien et le solaire n’étant pas encore techniquement capables de prendre le relais de la production d’électricité des centrales nucléaires françaises.
Première épreuve du feu pour le duo Rugy/Wargon : la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la période 2023-2028. Le gouvernement s’apprête à dévoiler son programme énergétique pour les prochaines années. Les questions de la part à accorder à chaque énergie dans le mix énergétique français et de la fermeture éventuelle de certaines centrales seront donc au cœur des enjeux environnementaux et économiques des prochaines semaines. Une entrée en matière musclée.
Pour les transports, l’avant-projet de loi d’orientation des mobilités doit être présenté en Conseil des ministres le mois prochain. Plusieurs sujets seront sur la table, notamment la question de la taxation du transport routier de marchandises, les transports en commun et le niveau du « fonds vélo ». Le gouvernement prévoit aussi la possibilité d’accorder aux agglomérations de plus de 100 000 habitants le droit d’instaurer des péages urbains et une mesure pour réglementer la circulation des trottinettes électriques… Autant de sujets sociétaux dont raffolent les médias… et les réseaux sociaux. La communication autour de ce nouveau plan devra être parfaitement calibrée pour éviter les couacs et les polémiques inutiles.
Europacity : trancher entre l’écologie radicale et l’écologie pragmatique
Europacity, c’est ce vaste centre culturel et commercial qui doit ouvrir ses portes d’ici 2024 dans le triangle Gonesse, dans le nord de Paris. Un espace de 80 hectares et un investissement à 3 milliards d’euros assuré par le privé (le groupe Ceetrus), mais commandé par l’État, soucieux de dynamiser ce territoire défavorisé.
Seul bémol, le sujet pourrait bien devenir un nouveau « Notre-Dame-des-Landes » pour le Président de la République. Europacity ravive la division entre écologistes « radicaux » et entre écologistes « pragmatiques ». Une fracture qui avait déjà largement handicapé Europe Écologie les Verts dans le passé, avant que les plus modérés ne rejoignent finalement François Hollande ou Emmanuel Macron.
En 2008 et en 2013, les élus EELV du Conseil Régional avaient justement voté l’urbanisation du Triangle de Gonesse proposée par l’État. Mais depuis la donne a changé : la majeure partie des militants du parti se sont alignés sur les positions les plus radicales des mouvements altermondialistes, s’opposent à Europacity et menacent de créer une ZAD aux portes de Paris. Simultanément, une partie des responsables écologistes locaux ont rendu leurs cartes du parti et continuent de soutenir le projet. Il faut dire que les promoteurs ont tout fait pour séduire les défenseurs de l’environnement : ferme urbaine, espaces verts, système de récupération des eaux usées, autonomie énergétique du site, transports électriques…
En réalité, Europacity relance l’éternel débat qui agite le camp écologiste depuis les années 70 : le capitalisme, l’investissement, la création de valeurs, l’entreprise sont-ils compatibles avec la protection l’environnement ? Pour les plus radicaux, sauver la planète ne peut se faire qu’en changeant de système économique, tandis que pour les seconds, l’outil le plus efficace est précisément l’énergie et l’innovation portées par notre modèle économique.
Europacity ravive donc les querelles entre les deux grandes familles de l’Écologie politique française. François de Rugy et Emmanuelle Wargon auront la lourde tâche de trancher cette épineuse question avant qu’elle n’empoisonne la fin du quinquennat. Et s’il ne fait guère de doute qu’ils défendront Europacity, les questions demeurent quand et comment ?