Dans la douillette école privée catholique du XVIe arrondissement, le coup de force vire à la farce. Alors que le directeur de Saint-Jean de Passy, François Xavier Clément, a été débarqué manu militari le 14 avril dernier, ses défenseurs et ses opposants sont désormais à couteaux tirés. Récit des coulisses d’une querelle qui va bien au-delà des murs du lycée.
Le plan était rodé, les armes étaient affutées et la période était idéale : avec des élèves et leurs parents confinés et un établissement paralysé, la mise à pied du directeur de Saint-Jean de Passy François-Xavier Clément et de l’un de ses proches, Jean Ducret, devait se réaliser sans encombre. Mais ce qui devait être une opération commando vire à la Bérézina et les assaillants se retrouvent acculés.
Pourtant, l’opération était préparée de longue date : à la rentrée 2019, profitant des doléances de certains membres du personnel à propos du management des équipes, un cabinet d’audit parisien (Alterhego) avait été chargé d’auditionner une partie des salariés pour faire remonter à la direction leurs attentes sur leurs conditions de travail.
En février, le cabinet d’audit récolte le témoignage d’une poignée d’employés. Savamment choisis ? En tout cas, il donne lieu à un mystérieux rapport qui dénoncerait « des pratiques managériales dysfonctionnelles portant atteinte à la santé et la sécurité physique et psychique des collaborateurs ». L’hallali est sonné, il n’en faudra pas plus au Conseil d’Administration de l’établissement pour que celui-ci décide en quelques heures de débarquer le directeur de Saint-Jean de Passy. Celui-ci apprend la nouvelle dès potron-minet, à son domicile, avec huissier et confiscation de son ordinateur.
Une approche quelque peu disproportionnée au regard des faits reprochés : au sein de l’enseignement catholique, ce type de mise à pied rapide et brutale est généralement réservé aux cas urgents et graves : détournement de fonds, agression sexuelle… Dernier exemple en date, le directeur diocésain de Nantes en mars 2019 qui avait été renvoyé quelques jours après avoir été mis en examen pour trafic de cocaïne. On est bien loin des reproches faits à François-Xavier Clément à propos de sa gestion des équipes éducatives.
L’opération « mise à pied de Clément » a donc été rondement menée, en frappant fort et par surprise. À la manœuvre, deux personnalités influentes à Saint-Jean de Passy : Jean-François Canteneur, le directeur diocésain de l’enseignement catholique et Emmanuelle Sarrebourse de la Guillonière, présidente de l’Apel (association de parents d’élèves), tous les deux membres du conseil d’administration de l’établissement.
Pour le premier, l’éviction de l’actuel directeur pourrait être un moyen de contrôler le prestigieux établissement scolaire. Pour la seconde, il s’agirait de mettre sur la touche un interlocuteur avec lequel elle entretient, de notoriété publique, une relation exécrable depuis de nombreuses années. Et en s’appuyant sur les conclusions du fameux rapport d’audit, les deux compères ont donc réussi à convaincre le conseil d’administration de mettre à pied son fameux directeur. Mais l’opération commando s’avère plus compliquée que prévu.
Mobilisation générale à Saint-Jean de Passy
Aussitôt la nouvelle annoncée aux parents d’élèves, c’est le branle-bas de combat. Les partisans du maintien de François-Xavier Clément se mobilisent. Parmi eux, des professeurs et des parents d’élèves qui appréciaient particulièrement la pédagogie très « catho » du chef d’établissement. Un mouvement amplifié par la colère des familles, qui, en plein confinement, sont confrontées à une direction décapitée : à qui s’adresser pour organiser le retour dans les classes le 11 mai ? Qui va appuyer les dossiers des élèves pour leur orientation, notamment pour les différentes classes préparatoires ? Ce débarquement justifié par des raisons obscures passe mal auprès des parents.
Le jour même, une pétition de soutien à la direction est mise en ligne et récolte plus de 5000 signatures. Quelques jours après, un collectif de parents d’élèves sollicite l’autorité morale de l’archevêque de Paris Monseigneur Aupetit. En réponse, le prélat désavoue publiquement la procédure en cours et réclame une nouvelle enquête pour y voir plus clair sur ces fameuses « pratiques managériales dysfonctionnelles ». En parallèle, l’affaire sort dans la presse : La Croix, Valeurs Actuelles et Le Figaro s’emparent de l’affaire.
Pour Jean-François Canteneur et Emmanuelle Sarrebourse de la Guillonière, l’affaire tourne mal. Dès le 20 avril, ils cherchent des alliés à l’extérieur de l’établissement. Directeur diocésain depuis 2014 pour l’un, femme d’affaire et responsable au sein des très controversés « légionnaires du Christ » pour l’autre, les deux membres du conseil d’administration de Saint-Jean de Passy ne manquent pas de réseau dans la capitale.
Plusieurs anciens membres du personnel de l’établissement, aujourd’hui à la retraite ou en poste dans d’autres écoles, auraient été contactés à la hâte pour témoigner du mauvais management de François-Xavier Clément. Une manière de compenser ce mystérieux rapport d’audit qui ne convainc plus personne, y compris l’archevêque lui-même ? Il faut dire que la fiabilité du document a du plomb dans l’aile : sur les quarante-huit personnes interrogées en février par les équipes d’Alterhego, dix-sept se sont déjà rétractées. Pensant apporter leur contribution à une réflexion sur le bien-être au travail dans l’établissement, elles estiment désormais que leurs témoignages ont été instrumentalisés.
Mais les organisateurs du coup de force anti-Clément n'en sont pas restés là et ils ont aussi fait appel à deux prestigieux avocats : Maître Thibaut Guilllemin, un proche de Jean-François Canteneur et surtout l'ex-bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur. Personnalité du petit monde parisien des avocats, ce dernier est un atout de poids pour les frondeurs. Seul bémol : il vient d'être impliqué dans une plainte «pour menace et violence» après l'agression d'une employée d'Air France lors d'un embarquement à Roissy. Une affaire qui fait tache et que pourrait bien exploiter la partie adverse.
Car en face, la défense monte au créneau : les directions de trois autres grands établissements privés catholiques de l’Ouest parisien (Gerson, Notre-Dame des Oiseaux et Saint-Louis-de-Gonzague) auraient affirmé leur solidarité avec François-Xavier Clément en se plaignant auprès du diocèse. Ils craindraient en effet que le « pronunciamiento » à Saint-Jean de Passy fasse jurisprudence, et menace à terme l’indépendance de leurs propres écoles.
En parallèle, certains professeurs s’organisent : alors qu’une ambiance maccarthyste de chasse aux sorcières flotte depuis quelques jours dans les locaux de l’établissement, une antenne du syndicat CFTC a rapidement été mise sur pied pour protéger les membres du personnel fidèles à M. Clément. Enfin, les partisans de l’ancien directeur ont eux aussi fait appel à un grand nom du barreau, maître Olivier Baratelli, afin d’organiser sa défense.
Cette surenchère d'avocats de prestige est d'ailleurs symptomatique de la tournure des événements. Enlisés et acculés, les tenants du coup de force ont échoué à faire licencier discrètement le directeur de Saint-Jean de Passy. Seule option pour eux désormais : miser sur un enlisement et une guerre de position juridique. En face, François-Xavier Clément, Jean Ducret et leurs soutiens maintiennent la pression pour qu'un nouvel audit soit rapidement organisé et que les deux responsables soient réintégrés à leurs postes au plus vite. À Saint-Jean de Passy, la guerre ne fait que commencer.