Dix-huit mois avant sa mise en service, prévue pour 2017, le dossier de la LGV Tours-Bordeaux devient un véritable casse-tête économique et financier. Alors que se dissipent les brumes d'un montage financier à nul autre pareil, le "plus grand chantier européen d'infrastructure réalisé en partenariat public-privé" est en passe de devenir un sinistre cas d'école.
Une source d'angoisse pour les protagonistes
Cette réalisation de 302 kilomètres de lignes à grande vitesse ferroviaire, engagée par le précédent gouvernement, sous concession de travaux et d'exploitation pour cinquante ans, devient une source d'angoisse pour tous ses protagonistes :
- SNCF Mobilités, futur exploitant de la ligne, doit assumer les engagements insoutenables pris par l'Etat et RFF en matière de dessertes promises aux élus locaux et de redevances d'infrastructures contractualisées pour quarante-cinq ans avec le concessionnaire privé ! L'entreprise prévoit d'y perdre de 150 à 200 millions d'euros par an par rapport à la situation actuelle.
- SNCF Réseau (ex-RFF), qui a mené les négociations pour le compte de l'Etat, est confronté à des retraits massifs de financement de certaines des 58 collectivités locales parties prenantes au projet, du fait de l'impossibilité pour l'exploitant de tenir les promesses de dessertes. S'y ajoutent des retards de financement de l'Etat, qui aggravent du même coup de 1,3 milliard d'euros l'impressionnante dette de notre système ferroviaire (42 milliards d'euros).
- Enfin le concessionnaire privé, faute d'implication initiale de SNCF Mobilités dans la négociation du contrat de concession, s'inquiète que son équilibre économique ait été calculé sur la base de 48 trains aller-retour par jour entre Tours et Bordeaux, quand le niveau des redevances ne permet à la SNCF que d'en envisager une trentaine !
L'érosion du modèle économique du TGV
Certes, le concessionnaire a pris soin de se garantir de ses emprunts (2,3 milliards d'euros) sur l'Etat et SNCF Réseau, mais ses investisseurs ont tout de même engagé 800 millions d'euros, sur la base de perspectives de prévision de trafic qui se révèlent irréalistes !
Cette étonnante quadrature perdant-perdant confirme l'érosion du modèle économique de la grande vitesse ferroviaire. Dès lors, la question est de savoir qui doit payer le déficit de financement induit par un coût d'amortissement de l'infrastructure trop élevé pour être répercuté sur les usagers du TGV face aux concurrences de l'aérien, de la route voire du service ferroviaire existant…
Il est probable que les usagers de la SNCF seront subrepticement sollicités à travers des augmentations tarifaires récurrentes lissées sur l'ensemble du réseau. Peut-être l'Etat consentira-t-il à prendre en charge une partie de la redevance d'infrastructure acquittée au concessionnaire, comme il le fait en faveur des TER, pour en soulager l'exploitant.
Et puis la SNCF aura toujours la possibilité de maintenir des services sur la ligne actuelle, afin de limiter l'impact financier négatif des dessertes grande vitesse. Au-delà du jeu de bonneteau qui va s'engager entre les parties prenantes pour combler l'impasse, on sait, à l'exemple des canaux de Panama et de Suez ou du tunnel sous la Manche, que de telles infrastructures survivent, par la force des choses, aux pires imprévisions financières.
Mais ce qui se passe aujourd'hui sur la LGV Tours-Bordeaux, dans le contexte financier très dégradé de notre système ferroviaire et qui fait écho aux mêmes difficultés rencontrées par la première concession ferroviaire à grande vitesse - celle de Perpignan-Figueras - est suffisamment calamiteux pour ne pas en reproduire le modèle.