Sauvegardons notre Souveraineté : Non à une sorte de Cour Suprême Mondiale créée par l’UE

Le 13 juillet 2023, Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, a présenté un rapport crucial aux États du monde entier sur les systèmes d’arbitrage « investisseurs/États ». Son message est clair : ces systèmes sont dévoyés et pervers, menaçant nos efforts pour faire face aux crises environnementales et aux violations des droits humains. Le rapport exhorte les chefs d’État à confier ces litiges à leurs tribunaux nationaux. Pourtant, l’Union Européenne refuse de suivre ces recommandations et incite les États à faire de même.

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Par Bertrand de Kermel Publié le 3 février 2025 à 14h46
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Ce rapport n'a été médiatisé ni à Bruxelles ni dans les 27 capitales.

De quoi s’agit-il exactement ?

Les systèmes d’arbitrage ISDS (règlement des différends entre investisseurs et États) sont des tribunaux privés et opaques. Ils peuvent condamner un État à des amendes colossales au profit d’investisseurs étrangers simplement parce que cet État a pris une mesure d’intérêt général, comme par exemple une loi de transition énergétique [1]. Ces arbitres n’ont aucune obligation de respecter le droit national, européen ou international. En signant ces accords, les États se soumettent à ces systèmes d’arbitrages sans possibilité de demande reconventionnelle. Ils ne peuvent que se défendre.

Cela s’analyse comme un don de leur souveraineté au profit des très grandes multinationales, car celles-ci disposent ainsi du contrôle des lois de tous les pays concernés par ces systèmes (dont la France).

La seule menace par une multinationale de saisir l’arbitrage est suffisante pour mettre à genou un gouvernement (Voir le cas de la société Vermillion en 2018, lors de l’élaboration de la Loi du 30 décembre 2017 dite « loi Hulot »).

Historiquement, ces systèmes remontent à la décolonisation (années 50). Ils ont été imposés par les pays occidentaux aux nouvelles nations indépendantes, pour protéger contre d’éventuelles vengeances les entreprises de l’ancien pays colonisateur restées sur place. Durant trente ans, ils ont été peu utilisés.

Soudainement, dans les années 80-90, ces ISDS se sont généralisés dans de très nombreux pays. Aujourd'hui, on dénombre environ 3 000 accords d’investissements dans le monde, dont 80 concernent la France. Très vite, ils ont donné lieu à de nombreux abus. En 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé ces systèmes incompatibles avec les traités européens et a exigé leur suppression immédiate en Europe.

Déjà en 2014, le Commissaire De Gucht, alors en charge des ISDS, avait reconnu ces abus, soulignant « les dérives inquiétantes des litiges contre les États ». Le rapport de l’ONU de 2023 confirme que les demandes d’arbitrage se chiffrant en milliards de dollars sont devenues monnaie courante dans les affaires liées au climat et à l’environnement, menaçant ainsi les finances publiques.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

 Parce que le rôle de la justice aux États-Unis a dérapé. En Europe, et particulièrement en France, le droit est un outil de civilisation, mettant sur un pied d’égalité le faible et le fort. C’est un principe fondamental de nos démocraties. La justice est un outil d’apaisement. Ce n’est plus le cas aux États-Unis. Dans ce pays, le droit a cessé d'être un instrument d'apaisement pour devenir une arme de combat dans la redistribution des richesses.

La chicane est devenue un mode de répartition de la richesse comme un autre.

Comme le soulignait Barak Obama, « l'ingénieur qui était le personnage de référence au début du XXème siècle a été remplacé par le lawyer, l'avocat ».

Depuis plusieurs années, la vision de la justice américaine est intégrée par les plus grandes entreprises mondiales, quelle que soit leur nationalité.

Voilà pourquoi, la Cour de justice européenne a déclaré en substance en 2018 : «stop au pillage des États sur le territoire européen ».

L'Union Européenne tente de contourner la décision de la Cour de Justice Européenne et ignore le rapport de l'ONU.

Malgré cela, la Commission Européenne persiste et propose de transformer ces systèmes d’arbitrage en un tribunal international. Comme les ISDS, ce tribunal ne sera pas liée par le droit national, européen et international. Il pourra condamner à de très forts dommages et intérêts des pays souverains qui auront voté des lois d’intérêt général. Cela revient à donner aux multinationales qui la saisiront le pouvoir de contrôler les législations de tous les pays du monde.

C’est donc un genre de Cour Suprême Mondiale que propose l’UE, puisqu’elle ne sera pas liée par le droit des États et sera donc supérieure aux justices de tous les États, donc hors de tout contrôle démocratique avec les mêmes défauts que les ISDS.

Du reste si elle était tenue de respecter le droit, donc la jurisprudence de l’Etat concerné et le droit européen, elle serait totalement inutile, puisqu’elle serait dans l’obligation de prendre les mêmes décisions que les tribunaux nationaux.

Ce n’est pas tout. L’Union Européenne n’est pas consciente qu’avec cette future Cour, elle ressuscite la « charte de l’énergie » qu’elle a quittée il y a quelques mois. Cette charte était une Cour internationale dont la principale activité consistait à régler par arbitrage les litiges entre les entreprises du secteur des énergies fossiles et les États. Les abus étaient tels que les grands pays de l’UE ont décidé d’en sortir, et ont contraint l’UE à faire de même. Cette politique de l’Union Européenne est bien difficile à comprendre.

Il est urgent de redresser cette situation en suivant les recommandations du rapport de l’ONU : confier les litiges « investisseurs/États » aux tribunaux nationaux, renforcer leur indépendance et sortir de tous les systèmes d’arbitrage « investisseurs/Etats ». De toute façon, les investisseurs nationaux n’auront pas accès à ce tribunal international.

Nous devons agir rapidement pour protéger nos valeurs fondamentales. En Europe, la justice doit rester un outil d’apaisement et non devenir une arme de prédation économique. Les décisions qui affectent nos nations doivent rester entre les mains de nos tribunaux nationaux, et non être dictées par des entités opaques, irresponsables et hors de tout contrôle démocratique.

Notre démocratie et notre souveraineté sont nos biens les plus précieux. Ils ne sont pas à vendre. Encore moins à offrir.

Comme le déclarait le Président Macron, lors de ses vœux pour 2025 : « Les Européens doivent en finir avec la naïveté. Dire non aux lois du commerce édictées par d’autres et que nous sommes les seuls à encore respecter, dire non à tout ce qui nous fait dépendre des autres, sans contrepartie et sans préparer notre avenir”.

N’est-ce pas exactement la proposition du rapport de l’ONU sur ce point précis des systèmes judiciaires ?

[1] Voir les premières pages du rapport de l’ONU du 13 juillet 2023

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Bertrand de Kermel est Président du comité Pauvreté et politique. Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, aujourd'hui jeune retraité, il vient de publier « Le scandale de la pauvreté, les causes et les remèdes », paru aux Éditons de l'Oeuvre. 

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