Souveraineté alimentaire : ce rapport dénonce l’absurdité du modèle agricole français

On marche sur la tête. C’est du moins la conclusion du rapport de Terre de Liens, Souveraineté alimentaire : un scandale made in France, qui dévoile l’absurdité du modèle agricole français : la France exporte près de la moitié de sa production agricole et dépend massivement des importations pour nourrir ses habitants.

Axelle Ker
Par Axelle Ker Modifié le 17 février 2025 à 17h32
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Par son choix de modèle agricole, la France a elle-même mis ses agriculteurs ainsi que sa souveraineté alimentaire en danger.

La France exporte près de la moitié de sa production agricole

La France, sixième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, affiche un potentiel nourricier de 130 %. Autrement dit, elle serait tout à fait en capacité d'être autosuffisante, et pourrait exporter jusqu'à 30 % de sa production excédentaire. Pourtant, un tiers des fruits et légumes consommés en France sont importés, ainsi qu'un quart de la viande de volaille et de porc, ou encore 40 % du beurre. Comme le révèle en effet le rapport de la Fondation Terre de Liens, 43 % des surfaces agricoles sont destinées exclusivement à l’exportation, soit 12,4 millions de ses 28 millions d’hectares.

Le modèle agricole français repose ainsi essentiellement sur les échanges commerciaux. De fait, et non sans un certain paradoxe, la France a perdu sa capacité à nourrir directement sa population. Pis, elle s'est rendue dépendante des importations tout en favorisant l'accaparement de ses terres agricoles par de grands groupes fonciers, français, mais aussi étrangers. Le rapport le souligne : entre 2005 et 2025, la France a doublé ses importations de produits agricoles. L'un des exemples les plus frappants concerne les céréales : la France produit bien plus de blé dur qu’elle n’en consomme. Malgré un potentiel de production équivalent à 148 % de ses besoins, un tiers de sa production est détourné pour l’alimentation animale, tandis qu'elle en exporte 75 %, tout en important massivement des pâtes et de la semoule pour sa consommation intérieure. Pourquoi avoir consciemment choisi ce modèle, alors même que celui-ci impose une concurrence déloyale à nos agriculteurs – qui vivent pour près d'un tiers des ménages sous le seuil de pauvreté – et que huit millions de personnes vivent en situation de précarité alimentaire, vilipende le rapport de Terre de Liens ?

L’industrialisation des terres, un choix avant tout politique

Le rapport de Terre de Liens pointe également du doigt les effets négatifs de la spécialisation des terres agricoles françaises, qui a remodelé le paysage français. En 30 ans, la taille moyenne des exploitations a doublé, tandis que le nombre d’agriculteurs est en chute libre : ils étaient en effet plus de 1,6 million en 1982, contre seulement 380 000 aujourd'hui. Cette répartition des terres agricoles est essentiellement due aux Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), à la loi GFAI (groupement foncier agricole d'investissement) ou encore aux CDOA (Commission départementale d'orientation de l'agriculture) qui favorisent les grandes exploitations agricoles au détriment des plus petites. Aujourd’hui, 35 % des fermes ne produisent plus qu’une seule culture, contre 19 % en 1990, et quatre productions écrasent les autres : blé, maïs, colza et orge couvrent 55 % des terres arables, souligne le rapport.

Derrière cette transformation, des choix politiques assumés. La Politique agricole commune (PAC), en place depuis 1962, finance en priorité les grandes exploitations tournées vers l’exportation. Pendant ce temps, les circuits courts, le maraîchage local et les petites exploitations peinent à survivre. Entre 2023 et 2027, les subventions agricoles représentent une enveloppe de 53,7 milliards d'euros, mais les agriculteurs eux-mêmes n’en sont pas les principaux bénéficiaires. L’association Terre de Liens critique cette orientation et affirme que la PAC, telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, sert davantage les intérêts industriels que ceux des agriculteurs. La Coordination Rurale, deuxième syndicat agricole le plus important derrière la FNSEA - qui a réussi une percée spectaculaire lors des dernières élections des Chambres d'agriculture en remportant 14 chambres (contre 3 en 2019) - le répète : « Ce que nous voulons, nous agriculteurs, ce sont les prix, plutôt que les primes. »

La souveraineté alimentaire française en jeu

Bruno Keller, président du syndicat agricole la Fédération de la Propriété Privée Rurale, s'inquiète sur l'avenir de la filière française : « 150 000 agriculteurs prendront leur retraite dans la décennie à venir, soit 10 millions d'hectares qui changeront de mains (...) si rien n'est fait, c'est la porte ouverte au rachat de terres agricoles françaises par des investisseurs étrangers ou à l'abandon des terres et de l'environnement. » D'autre part, que se passerait-il si une nouvelle crise sanitaire venait à surgir ou si un pays décidait de réduire certaines de ses exportations essentielles pour l'agriculture française, s'interroge Terre de Liens qui ne manque pas de rappeler qu'aujourd'hui,  8,5 millions de tonnes d’engrais majoritairement russes et marocains sont importées chaque année pour fertiliser les cultures françaises, tandis que 4 millions de tonnes de soja sont importées d'Amérique du Sud pour nourrir le bétail.

Face à ce constat, Terre de Liens propose une réorientation massive de la politique agricole :

  • Limiter les rachats de terres par des investisseurs étrangers en instaurant un contrôle public.
  • Soutenir les nouveaux agriculteurs pour favoriser les exploitations locales et durables.
  • Revoir les aides de la PAC pour qu’elles profitent aux producteurs nourrissant la population française, plutôt qu’aux acteurs de l’exportation.

Le sujet est éminemment politique : il suffit d'une étincelle pour que le mouvement des agriculteurs en colère - lancé en janvier 2024, largement soutenu par la population, et qui avait repris des couleurs en décembre 2025 suite à la signature de l’accord du MERCOSUR par Ursula von der Leyen - reparte de plus belle. À quelques jours du Salon de l'Agriculture, les agriculteurs attendent de voir si leurs griefs ont été entendus par les politiques, la nouvelle loi d’orientation de la politique agricole poursuivant son chemin législatif après son passage devant le Sénat.

Axelle Ker

Diplômée en sciences politiques et relations internationales, journaliste chez Économie Matin & Politique Matin.

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