Question de Claude Malhuret, Sénateur de l’Allier, Président du Groupe Les Indépendants - République et Territoires
Monsieur le Premier Ministre,
Vous venez de parler d'un basculement du monde et vous avez raison. L'Europe est en guerre, elle est seule et elle est divisée. Ce que quelques-uns d'entre nous répétons depuis trois ans en prêchant dans le désert apparaît brusquement comme une évidence. Mercredi dernier, un simple coup de fil entre Trump et Poutine a transformé l'Europe en paillasson et l'Ukraine en otage d'un pacte honteux. Le soi-disant maître de l'art du deal et ses copains du golfe de Mar-a-Lago, maquillés en diplomates, négocient seuls en cédant d'emblée aux buts de guerre de leur adversaire. Les rodomontades de la paix par la force ont fait place à la pantalonnade de la paix par la reddition. Celui qui, paraît-il, postule au prix Nobel de la paix est déjà assuré d'obtenir celui de la trahison. Et depuis hier, celui de la provocation, en accusant Zelensky d'avoir déclenché la guerre.
À Munich, son numéro deux, le génie des Appalaches, qui a soutenu l'assaut du Capitole, a osé nous donner des leçons de démocratie. Les Européens ont répondu : « Rien sur l'Ukraine sans l'Ukraine et rien sur l'Europe sans l'Europe ». Ce sont de belles paroles, mais comment les traduire en actes ? Depuis des décennies, l'Europe n'a cessé de repousser la construction de sa propre défense, malgré les alertes de la France, vous l'avez rappelé, Monsieur le Premier ministre. En juin 2022, le Président de la République a annoncé, je cite, "l'entrée de la France et de l'Europe en économie de guerre". Nous n'avons à ce jour pas fait le moindre pas dans cette direction. Et la réunion de l'Élysée avant-hier n'a pas fait l'objet d'un communiqué pour ne pas étaler les divisions.
Que la guerre se prolonge ou que l'Ukraine ait besoin de garanties, les Européens seront seuls demain pour faire l'effort en matériel, en argent et en troupes. C'est en urgence, faute de l'avoir fait avant, que l'Europe doit investir massivement dans sa défense, utiliser les avoirs russes gelés, unir ses marchés de capitaux, sortir les dépenses militaires des critères de Maastricht. Ma question est simple : la guerre se rapproche et nos alliés s'éloignent. Quel est le plan ?
Réponse de François Bayrou, Premier ministre
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Président Malhuret,
Vous l'avez dit, la France a été constamment, au cours des décennies, non pas seulement à l'avant-garde, mais souvent seule, notamment dans la dernière décennie, à porter l'idéal d'une Europe qui s'unirait pour exister. Parce que vous avez, à très juste titre, dit que nous serons seuls, mais la question la plus fondamentale, c'est : Serons-nous nous-mêmes ? Accepterons-nous l'Europe ? Voudrons-nous, choisirons-nous d'exister ? L'interrogation "to be or not to be", elle n'a jamais été aussi actuelle que dans les jours qui viennent de s'écouler et dans les jours qui viennent. Alors vous avez dit : "Que faire ? Quel est le plan ?" Je pense que le plan, il repose en partie sur la volonté politique et la volonté de construire une défense qui ne dépendent pas des autres. Quels que soient les autres. Et vous savez tout ce que technologiquement et numériquement cette affirmation suppose. Donc c'est la première chose.
Et deuxièmement, est-ce que l'Europe sera forte ? Et c'est une question qui se pose en particulier économiquement. Je ne crois pas qu'on puisse en rester à une situation si déséquilibrée, qu'on voit toute la croissance de l'autre côté de l'Atlantique et toute la stagnation chez nous, avec un puissant soutien aux États-Unis de la banque centrale américaine, la Fed, et une prudente réserve de la banque centrale européenne. Je pense que nous sommes tous placés devant une réalité qui se pose, comme vous l'avez rappelé, sur les investissements militaires, mais qui existe sur l'ensemble de notre économie, quand on voit la captation que les États-Unis ont depuis longtemps favorisée, organisée, ajoutant une puissance monétaire sans comparaison à une capacité de croissance entièrement soutenue technologiquement, industriellement et fiscalement. Et donc, ces questions sont des questions purement et simplement existentielles.
Le moment vient, les jours approchent, peut-être les minutes, où nous allons avoir, en citoyens responsables, à répondre à ces questions.
Merci beaucoup.