La polémique sur les propos de Laurent Wauquiez, nourrie par la réponse que l’intéressé a apportée hier, en dit long sur les fractures enfouies de l’opinion publique en France, dont le leader républicain semble vouloir jouer. On peut se demander dans quelle mesure il ne se transforme en expression angoissante de ces lignes de partage capables de faire basculer le jeu politique.
Wauquiez et la critique des medias parisiens
Explicitement, dans les propos de Laurent Wauquiez, on retrouve une critique frontale des medias parisiens, qui imposeraient une dictature à l’opinion française. L’attaque est formulée dès la séance « enregistrée » par un ou plusieurs élèves de l’école où le président des Républicains s’est produit. La réfutation du « bullshit » que les médias attendent constitue un superbe rouleau de surf sur la rupture consommée entre les élites parisiennes et leurs porte-voix d’un côté, la parole politique que le pays attendrait de l’autre.
Cette idée d’exprimer le pays réel contre ses élites est une thématique forte de Laurent Wauquiez depuis qu’il s’est lancé dans la course à la présidence des Républicains. On peut en penser beaucoup de mal, et probablement la qualifier de populisme. Il n’en reste pas moins qu’elle recouvre une incontestable ligne de force dans l’opinion.
Le fait que Laurent Wauquiez cherche à s’en emparer, à l’incarner (lui le Parisien issu de l’élite républicaine) montre bien quelle sera sa stratégie dans les moins à venir: prendre à contre-pied la bien-pensance dominante et capter le mécontentement sourd du pays réel.
Wauquiez et les lignes de fracture françaises
On aura entendu dans sa bouche, que ce soit dans les enregistrements à l’EM Lyon ou sur le plateau de BFM tous les mots qui font sens dans ce pays réel sur les grandes ruptures avec l’élite bien-pensante qui gouverne le pays.
Par exemple, sa critique frontale contre le MEDEF et la CGPME et sur le financement des syndicats y compris patronaux, est une vieille thématique régulièrement occultée dans les medias nationaux. Pourtant, dans l’opinion publique, ce sujet résonne souvent, de façon sourde, mais régulière. Le fameux argent de la formation professionnelle serait détourné par des syndicats qui s’intéresseraient peu à la formation, mais beaucoup à l’argent qu’elle rapporte.
Ce n’est pas inexact, bien entendu, sur le fond. Mais la présentation qui en est souvent faite (et c’est le cas ici) procède de l’exagération et fait croire que les montants détournés porteraient sur des dizaines de milliards d’euros, ce qui ne repose sur rien. Que Laurent Wauquiez participe de cette exagération par ses propos tranchants illustre bien la stratégie qui sera la sienne.
Sur l’ensemble de l’action publique, Wauquiez a aligné les allusions explicites ou plus implicites à des thématiques répandues dans l’opinion malgré les medias subventionnés.
Wauquiez joue-t-il avec les fake news?
Certains n’hésiteront pas à se demander si Laurent Wauquiez ne cherche pas à capitaliser sur un certain nombre de fake news, mélangeant hardiment des propos d’estrade un peu faciles et des reprises en creux de mensonges dont le flou est savamment entretenu.
Le cas des syndicats patronaux qui utiliseraient la formation professionnelle uniquement ou presque pour se financer le prouve assez bien. La phrase mélange des éléments de fait et un fantasme répandu selon lequel les syndicats bénéficieraient de trois ou quatre milliards d’argent public. La somme intègre, en réalité, les financements des comités d’entreprise qui, comme leur nom l’indique, sont d’origine privée. Mais qu’importe! On répète la formule à l’envi et on maintient ainsi une ambiguïté qui confine au fake.
Sur Darmanin, la technique est la même. Les propos du président des Républicains relèvent largement des affirmations de comptoir. Le fait qu’ils soient tenus publiquement par un responsable politique leur donne une brutale violence, et une brutale toxicité. Ce faisant, Wauquiez accrédite la thèse, qui pourrait lui revenir en boomerang, d’une impunité des politiques par rapport aux Français ordinaires.
Wauquiez et sa stratégie de Nosferatu
Au fond, Wauquiez le bien-né a pris un parti: celui de dire tout haut, et à la télévision, ce que les Français aiment à se répéter au bar du village quand ils y passent prendre leur café et qu’ils y incriminent leurs élites. Ce faisant, il commet un important pas en avant: il donne du crédit à des critiques frontales adressées au « système » par les Français ordinaires.
C’est la transformation du comte Dracula en vampire Nosferatu. Cet aristocrate républicain prend les oripeaux du révolutionnaire ordinaire. Il ramène le discours politique à une suite d’accusations dont certaines frisent le complotisme. Il affirme sans ambage, sur le mode assertorique dirait Emmanuel Macron, des opinions ou des croyances que les Français présentent souvent au conditionnel lorsqu’ils en débattent au café du commerce.
La métamorphose de Wauquiez est une stratégie audacieuse, moralement assez contestable, qui sera sans doute payante à court terme, mais qui est dangereuse à long terme. Car au jeu du bullshit, il s’expose au risque d’être un jour démasqué comme ce qu’il est réellement: un aristocrate parisien qui prend des habits empruntés de province pour conquérir le pouvoir.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog